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Brigitte dans le camion, 1957


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Thomas, Paul et Matthieu sont au paradis. Dans la banlieue de Paris, à Aubervilliers, ils trouvent de tout. C’est exactement ce qu’il leur faut. Une décharge ! De la ferraille ! Des objets insolites ! Des déchets de construction ! Une décharge de véhicules ! Thomas connaît cette décharge par cœur. Là où se trouve les outils cassés… Là où se trouve les pneu usés… Et les bobines de câble vides qu’on peut faire rouler. Et les cordes qu’on peut nouer et étendre sur des mètres. Et puis les flaques, qui forment des épreuves à sauter et à contourner, au bord de la palissade. Et dans le bois de cette-dernière, les trous pour regarder au travers, pour passer les doigts et chatouiller les passants qui longent le terrain vague. Il connaît le moindre recoin de ce gigantesque dépôt. « Les gars ! Venez, je veux vous montrer la décharge d’Aubervilliers ! » avait-il hurlé devant le foyer miséreux de ses deux copains, Paul et Matthieu.

 

Les voilà qui entrent, après avoir fait glisser une latte de bois vacillante. « Regardez ce vieux camion ! » s’enthousiasme Thomas. Il vient d’être abandonné. Paul est aux anges. C’est mieux que des jouets. Qu’il est bon d’être pauvre ! Qu’il est bon que papa soit un chemineau ! Papa lui a toujours dit, qu’un jour il aurait une belle femme, encore plus belle que Brigitte Bardot. Le père de Paul travaille toute la journée sur les rails du métro parisien. Il rentre le soir au foyer toujours très fatigué. Mais il n’est pas colérique. Il aime la mère de Paul plus que tout. Paul est comblé d’avoir des parents attentionnés. C’est tout ce qui compte pour lui. Matthieu monte dans le camion. Il pense que cette décharge est un paradis. Il se souvient des paroles du prêtre de l’église qui disait : « Les pauvres appartiennent aux paradis ! » À ces mots, Matthieu avait serré la main de sa maman qui est couturière dans une petite maison de lingerie. Son père ne travaille pas. Il boit des choses qui le rendent fou ! Il est alcoolique. Et quand la mère de Matthieu rentre à des heures tardives, son père s’énerve, il jette les verres et les assiettes dans tous les sens. Maman dit que maintenant tout est dépareillé, et qu’elle n’a plus qu’une pauvre soupière comme souvenir de leur ménagère de mariage. Et cette ménagère, elle y tenait, c’était celle de la tante Ursule, celle qui faisait des baisers qui piquent à Matthieu, parce que les vieilles dames ont parfois du poil au menton. Matthieu aimait bien tante Ursule, elle lui donnait souvent des bonbons à l’anis, et même parfois une pièce pour acheter ses préférés : les roudoudous. Mais tante Ursule n’aimait pas trop son papa, elle disait que c’était de la mauvaise graine. Maintenant, elle mange les pissenlits par la racine au cimetière de Pantin, et Matthieu vient la voir quelquefois avec sa maman pour se plaindre de son père. Elle le comprend, aussi morte soit elle. Elle se rend compte, elle ! Elle l’écoute ! Une fois, il les a même menacés de casser la vieille télévision. Mathieu sait que son père ne changera pas. C’est comme ça ! Il faut se faire une raison et ne pas trop de faire de bile ! Maman dit que quand on s’inquiète trop, on attrape un ulcère. Et ça, ce n’est pas joyeux. Mais Matthieu sait une chose : si le paradis appartient aux pauvres, alors aujourd’hui, il a trouvé son ciel grâce à son copain Thomas. « Oh la la, regarde ce camion ! Comme il est beau ! » lance-t-il à Paul qui saute dans le véhicule et se met au volant. Il braque à droite, puis à gauche et il enfonce la pédale d’accélération en pensant à Brigitte Bardot.

                  — Matthieu, tu connais Brigitte ? demande-t-il.

                  — C’est ta petite sœur ? répond ce dernier.

                  — Non, c’est Brigitte Bardot, la bombe des bombes ! La plus belle de toute la France ! explique Paul.

                  — Plus belle que ta mère ? demande Thomas.

                  — Si seulement je pouvais conduire Brigitte à l’arrière de ce camion ! soupire Paul.

— Eh les gars, on est les super potes du paradis d’Aubervilliers ! hurle Matthieu.

 

Les trois ont une mission. Préparer le camion pour Brigitte. Qu’il est bon de rêver ! Qu’il est bon de jouer ! L’un fait ci, l’autre fait ça ! Paul se met à essuyer la poussière des sièges avant. Brigitte Bardot n’est pas n’importe qui. C’est la plus belle femme de toute la France. Si elle s’assoit à l’avant, ça a intérêt à être propre comme un sou neuf ! Mais Thomas pense que Brigitte va préférer rester sur la banquette arrière. Il balaye l’arrière du camion. Tout doit briller ! Matthieu se désespère. On ne peut pas nettoyer toute la crasse.

 

On rêve ! Brigitte ne va pas tarder !

 

Alan Alfredo Geday

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