Benjamin Cooper, 1960
- alanageday
- 26 mai
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Benjamin Cooper ? Ça vous dit quelque chose ? Est-ce que ça vous parle ? Pourtant c’est un nom rempli d’histoires ! Je sais bien que vous appréciez les noms afro-américains. Ça vous fait rêver ! Ça vous fait trembler ! Ces noms regorgent d’anecdotes et de faits que beaucoup ignorent. Vous fantasmez tous à l’idée d’avoir un ami comme Benjamin Cooper. Pourquoi ? Je vais vous éclairer à ce propos. Le jour où vous direz que vous connaissez Benjamin Cooper, ça vous permettra de crâner devant vos proches ! Benjamin Cooper, je le connais. Benjamin Cooper, c’est moi !
Je suis un vétéran de guerre, un Noir. J’ai combattu sur le front, et pas n’importe lequel. Pour être précis, j’ai débarqué en première position sur les plages normandes sur une pénichette GMC 353 surnommée « le canard ». J’avais des ordres, j’avais un devoir. J’entendais les tirs ennemis nazis fuser. Je sentais la pénichette tanguer en tous sens. J’en fais encore des cauchemars aujourd’hui. Je me réveille parfois en pleine nuit, et j’ai le mal de mer. Je fume une dizaine de cigarettes avant de me recoucher. La guerre a laissé ses séquelles. Elles resteront pour toujours. Je me souviens de tous les détails. La nature était déchaînée, le ciel gris, la mer agitée, et on ne voyait rien devant soi. Un brouillard à couper au couteau. Mon cœur battait la chamade, mes jambes tremblaient, et je peinais à tenir mon arme entre les mains. Je sentais que mon pays m’avait envoyé à l’abattoir. J’étais comme un bœuf qui s’avance impuissant vers son bourreau. Et même, c’était pire que ça ! J’étais en première ligne. Force oblige, je suis Noir ! Derrière moi, sur la pénichette, j’observais ces Blancs aux visages innocents et pâles qui ne cessaient de prier dans la houle qui fouettait leur visage. J’avais le même âge qu’eux. Une vingtaine d’années ! On était des enfants. Avant la guerre, j’étais ambitieux et plein d’entrain. Je voulais devenir fermier, je voulais acheter ma propre parcelle dans mon pays, l’Amérique. Le destin en a voulu autrement. J’ai été mobilisé pour combattre sur le front, et tous mes rêves ont été anéantis. Parfois quand je me promène à Washington, je me dirige vers le mémorial Lincoln. Je suis Américain ! Je suis Noir ! Et j’ai fait la guerre.
Lorsque la pénichette GMC 353 retrouva la terre ferme, on se dépêcha de sortir de cet enfer. Que pouvais-je faire ? Pouvais-je agir ? Les Nazis mitraillaient, et on ne savait pas où ils se cachaient. Sur le bord de la plage, en Normandie, j’ai vu des têtes éclatées, des bras ensanglantés, des corps qui ne semblaient plus humains. Personne ne s’attendait à une telle atrocité. La force de frappe allemande était si forte, si inattendue que les marines américains tombaient à l’eau et mourraient les uns après les autres. Je vous le dis, c’était pire qu’un abattoir. Vous savez ? Dans un abattoir, les bêtes sont menées à la queue leu leu vers la guillotine. On leur coupe la tête, et on décolle la peau pour en extraire toute la viande. Avec le capitalisme, les Blancs ont su organiser plusieurs queues pour acheminer ces bêtes vers la mort. Le jour du débarquement, c’était ça ! J’étais en première ligne et je savais que j’allais mourir. Mais je suis vivant. Aucune balle ne m’a atteint. C’est un miracle. Ma mission terminée, L’Europe a été délivrée du démon, de l’axe du diable. Je suis rentré aux États-Unis. Je ne comptais pas m’en arrêter là. Car appeler Benjamin Cooper pour faire la guerre, c’est une chose. Mais ne pas reconnaitre Benjamin Cooper comme un Américain en est une autre. C’est pour cela que je vous parlais du mémorial Lincoln ! C’est un lieu de pèlerinage pour moi. Je me recueille devant la statue du président assassiné pour montrer ma reconnaissance vis-à-vis de la liberté des Noirs.
C’était le 1er février 1960. Gardez cette date en tête. Je suis l’homme qui a initié les sit-in à travers la Nation. Je m’étais levé un beau matin à Greensboro, en Caroline du Nord, et j’avais décidé d’aller prendre mon café et de lire un verset de la Bible dans un dinner réservé aux Blancs. Quand je vous dis que moi, Benjamin Cooper, j’ai initié les sit-in à travers tout le territoire, vous ne me croyez pas. Ce jour-là, je rentrais dans le dinner sous le regard raciste des Blancs. Je m’asseyais au comptoir et je commandais un café. C’était un restaurant ségrégué. Je n’avais donc pas le droit de m’asseoir. La serveuse m’interpella immédiatement : « Nous ne servons pas les nègres dans ce café ! » La femme noire qui nettoyait le sol avait tout de suite répliqué : « Stupides, ignorants ! » J’ai eu pitié d’elle. Je pense qu’elle a perdu son emploi après ça. Quel poids avait-elle dans ce lieu ? Puis le directeur du restaurant, Monsieur Harris, était gentiment venu me voir en me disant : « Monsieur, vous dérangez les clients de ce restaurant. Je vais vous demander de quitter les lieux sur le champ, sinon j’appelle la police ! » Là était le dernier de mes soucis. Monsieur Harris n’appela pas la police. Je restais jusqu’à la fermeture du restaurant sur mon tabouret. Personne ne m’avait servi. Mon action se propagea vite dans les environs. Les étudiants afro-américains des universités appelèrent ça un « sit-in ». À partir de ce jour, les jeunes agirent de la sorte à travers le sol américain. Ils allaient dans des lieux interdit aux Noirs et menaient cette action pacifiquement. Ils restaient assis des heures, et dérangeaient beaucoup de clients. Ça fit du grabuge. Je m’autorisai même à écrire une lettre au président : « Cher Monsieur le Président, Je soussigne, moi, Benjamin Cooper, être un homme noir de la ville de Greensboro. Je suis allé maintes fois dans le restaurant réservé au Blancs de Greensboro. J’ai demandé à consommer un café que l’on ne m’a pas servi, les serveuses ont refusé mon argent ! La raison était que je suis Noir. Je vous demande de mettre fin à la discrimination sur notre sol. Je crois fermement que Dieu vous donnera du courage et vous guidera dans la résolution de ce problème. Sincèrement vôtre, Benjamin Cooper ».
En 1964, quelques années plus tard, la loi sur les droits civils a imposé la déségrégation dans les établissements publics.
Alan Alfredo Geday