Roman d'Alan Alfredo Geday

Extrait (Partie I)

En cette fin d’après-midi, sur les trottoirs de Bensonhurst, règne une douce odeur de marinara. Les épiceries italiennes ne désemplissent jamais, et les boîtes de tomates s’empilent à l’infini dans les vitrines comme une œuvre d’Andy Warhol. C’est ce qui se vend le mieux à Bensonhurst ! Sans compter l’huile d’olive et les gousses d’ail ! Bensonhurst n’est plus seulement le quartier des Napolitains et des Siciliens, mais rassemble des immigrés de toute la botte italienne depuis la fin de la guerre. Des drapeaux tricolores flottent aux façades des immeubles et définissent les limites de la « Petite Italie de Brooklyn ». Le quartier est haut en couleur : des promotions géantes, des affiches des derniers blockbusters, des disquaires bondés, des étals en tous sens, des terrasses surpeuplées où l’on joue à la scopa, des vitrines de jouets et des distributeurs de chewing-gums qui attirent les enfants à la sortie de l’école. Mais aussi les voitures qui vrombissent, les taxis jaunes qui klaxonnent, les motos qui pétaradent, et le métro qui file au-dessus des routes encombrées. C’est l’heure de pointe, et les habitants de Bensonhurst arpentent les rues pour leurs emplettes. Un bouquet de coriandre de-ci ! Quelques aubergines séchées de-là ! L’heure du dîner approche, mais on discute encore sur le perron des immeubles en briques rouges. On s’arrête aussi dans les delicatessen juifs pour un krantz, une brioche couverte d’une pâte de chocolat, un challah en tresse d’escargot, ou des beignets fourrés. Car au milieu de l’Italie new-yorkaise, une petite diaspora juive a subsisté.