Je m’appelle Mehdi et je vis dans une cité, près de Paris. Je suis grand maintenant, j’ai huit ans. Mon rêve, c’est de jouer pour l’équipe de France de football. Quand est-ce que la France va gagner cette foutue coupe du monde ? Moi, je joue au football au pied des immeubles, qu’il pleuve ou qu’il neige, je joue tous les soirs après l’école. Mon ami Youssouf n’aime pas jouer au football, il préfère regarder la télévision avec son père. Et son héros préféré, c’est Goldorak. Il faut dire que depuis que son père a perdu son travail à l’usine, il regarde beaucoup la télévision. Parfois, il s’endort devant le poste, alors on ne doit pas faire de bruit quand on veut écouter de la musique dans la chambre de Youssouf. C’est la maman de Youssouf qui nous gronde. La mère de Youssouf, elle prépare tout le temps de la cuisine du bled, comme on dit ici, et ça sent les épices jusque dans la cage d’escalier. Elle ne regarde pas beaucoup la télévision, à part Les feux de l’amour, cette nouvelle série américaine que toutes les mamans regardent. Je ne comprends pas vraiment l’histoire, mais à chaque fois que je vais au salon de coiffure, j’écoute les conversations. Je vais souvent au salon de coiffure, parce que ma grande sœur y travaille pour son CAP. En tout cas, cette série américaine, ça a donné de nouvelles idées de prénom ici. Maintenant, les bébés s’appellent Brandon, Kevin ou Alison, parce que ça sonne bien, comme aux États-Unis où les gens ont des maisons immenses et des voitures décapotables. Ma maman à moi, elle cuisine surtout pour le ramadan, des pâtisseries au miel et à la fleur d’oranger. C’est horrible parce qu’on la voit cuisiner toute la journée et qu’on ne peut y toucher qu’à la nuit tombée. Mais le reste du temps, elle ne cuisine pas beaucoup, elle n’aime pas ça et elle a toujours « trop de travail, servez-vous dans le frigo ! » Parce que ma maman, elle est secrétaire médicale à Paris, et tous les matins elle prend le train pendant une heure, et le train c’est fatigant parce qu’il y a beaucoup de monde et qu’elle doit rester debout avec ses talons hauts. Et puis maman, elle travaille jusqu’à tard et elle doit s’occuper toute seule de ses trois enfants, même si ma sœur est bientôt grande et qu’elle partira de la maison quand elle aura son CAP. Mon papa, je ne l’ai jamais vu, il est resté au bled. Il paraît qu’il était très beau et très intelligent, c’est maman qui l’a dit. Mais moi, je ne l’aime pas du tout, parce qu’il n’est jamais venu nous voir. Alors je ne réponds jamais à ses lettres.
Youssouf, il a trouvé cette carcasse de voiture où l’on peut s’asseoir et faire semblant d’être des pilotes de Formule 1. Hier, on a même sniffé de la colle Cléopâtre en mangeant des petits Lu, assis sur la plage arrière. On a bien essayé d’ouvrir le coffre, mais le grand frère de Youssouf, qui passait par là avec sa bande, nous a grondés. Il a dit qu’il ne fallait jamais forcer les coffres des voitures de la cité, même si c’étaient des épaves, qu’on ne savait jamais, que c’était dangereux et qu’on pouvait s’attirer des problèmes. J’ai voulu lui demander pourquoi, et il a dit que je comprendrais quand je serai grand. C’est ennuyeux d’avoir huit ans, on nous dit tout le temps qu’on comprendra plus tard. Mais moi, j’ai envie de comprendre maintenant ! Youssouf, il s’en fiche, il ne pose jamais de questions. Youssouf, c’est un copain silencieux, on ne sait jamais ce qu’il pense, mais c’est mon ami. Quand je n’arrive pas à faire mes devoirs, il vient m’aider à la maison. Il est très fort en maths, il additionne très vite, comme une calculette ! Alors je l’appelle le Goldorak des maths, et il est content. Mais ce soir, je n’ai pas envie de faire mes devoirs, et les maths attendront. Je n’en ai pas envie parce que maman a appelé à la maison pour dire qu’elle rentrerait très tard, qu’elle avait de la comptabilité à faire, que son patron lui avait demandé de rendre les dossiers demain. Et quand maman n’est pas là, même si je sais qu’elle rentrera, qu’elle viendra me souhaiter bonne nuit dans mon lit en m’embrassant sur le front, je suis un peu triste.
Alan Alfredo Geday
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