« Mon cher fils,
As-tu peur de la mort ? Je suis sûre que ta réponse serait un mensonge. Tu es tellement serein ces jours-ci. Lors de ma dernière visite, je n’ai pas voulu te le dire, mais tu as envie de partir. Mon fils, je le sens, et ça me réjouit. Que tu partes en paix ! Que tu te reposes en paix ! Ton repentir est terminé et tu as expié ton crime. Tu as tué ce policier, et la justice t’a puni à la peine de mort. Tu es le grand victorieux dans ce jugement. N’aie pas peur, je suis avec toi. Je serai là aussi lorsque les bourreaux t’étendront sur un lit pour t’injecter leur poison. Tu devrais en rire, mon fils ! Il y aura même des spectateurs. La famille du jeune policier afro-américain que tu as assassiné à coup de couteau sera présente. Mais tant mieux, j’ai besoin de savoir qu’ils seront là. Cela fait partie de ma paix intérieure. Elle ne pourra jamais se reposer si nous n’avons pas réglé nos comptes avec cette famille afro-américaine.
Je suis Américaine, mon fils ! Et la justice de l’Iowa a fait justice. Il faut que tu partes, je le préfère. Rester jusqu’à la fin de ses jours en prison n’est pas une solution. Lire des livres et se repentir infiniment ne sert pas à grand-chose. Jésus sait que tu t’es repenti. Je te porte dans mes prières. Elles sont utiles et elles te rendront plus fort le jour venu. Tu vas juste t’endormir. Tu vas sentir le liquide te parcourir le corps comme si un serpent rampait dans tes veines. Je serai là avec toi, paisible. Je te regarderai jusqu’au bout. Ça va aller très vite ! Ça sera sec. Je t’aime, mon fils ! Tu es mon deuxième enfant. Je ne t’oublierai jamais.
Nous n’avons plus le droit de nous voir jusqu’au grand jour. Ce compte à rebours est cruel. J’ai envie d’en finir, que tu reposes en paix ici dans le jardin de la maison. Je viendrai te rendre visite tous les jours. Ne pleure pas mon fils et sois fort. Tu l’as toujours été. Les noirs ne gagneront jamais dans cette nation. Tu as le soutien de beaucoup de partisans contre la ségrégation. Des membres du Ku Klux Klan sont venus me rendre visite. Ils m’ont remis une belle croix. Je la planterai et j’y graverai ton nom. Je n’arrive pas à y croire. Ils m’ont fait part de leur sympathie pour toi et ils m’ont dit qu’ils mèneront le combat jusqu’au bout pour faire régner la suprématie blanche sur le sol américain. Tous les jours devant la prison, des manifestants et des activistes brandissent leur pancarte contre la peine de mort. C’est incroyable ce qui se passe. Mais tout l’Iowa se mobilise pour ta cause. Il hurle, il crie. Parfois, il chante. Des femmes ont même allumé des cierges devant l’entrée de la prison. Mon fils, je t’aime !
Cette année, je n’ai pas fêté Thanksgiving. Je préfère regarder les feuilles jaunes tomber des arbres. C’est un automne pas comme les autres pour ta maman. Mais je te le dis encore, j’ai besoin de cette paix intérieure avant que tu partes. Et n’oublie pas. Quand les gardes de la prison te demanderont ce que tu veux pour ton dernier repas. Pas de dinde ! Pas de confiture à la fraise ! Pas de marrons grillés ! Rien de tout ça ! Tu partiras victorieux avec un bonbon à la menthe. Demande-leur un bonbon à la menthe. C’est la dernière demande que tu feras, et promets-moi de le faire.
Tu veux savoir si tu as obtenu le pardon ? Une mère pardonne toujours à son fils et Jésus aux prisonniers. Le royaume est celui des repentis, des criminels et surtout des pécheurs. Jésus a dit dans l’évangile qu’il y a plus de joie pour un pécheur dans son royaume que pour les justes. Alors, réjouis-toi, mon fils ! La parole est vivante. Et ce tatouage de ta fiancée que tu as sur ton bras droit. Elle ne cesse de pleurer dans son coin. Quand je te dis que tu es celui qui est victorieux, crois-moi. Elle est triste. Entre nous, plus personne ne veut d’elle, car c’était ta compagne.
Sois fort et n’oublie pas de demander un bonbon à la menthe.
Je t’embrasse
Ta maman ».
Il range la lettre sous son lit. Il ne lui reste plus que cinq jours avant le grand jour. Il rêve d’un bonbon à la menthe. C’est la promesse qu’il a faite à sa mère. Être fort et sucer un bonbon à la menthe pour le dernier repas. Il pose ses deux mains sur son cœur et se réjouit. Il pense au royaume des prisonniers. Il y pense très fort. Il esquisse un sourire.
Alan Alfredo Geday
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