« Sâda ? » C’est une question ? Oui, ça l’est ! Pour vous demander comment sucrer votre café que les Cairotes appellent ahwa. Car le café au Caire est une tradition, c’est toute une préparation. Si vous le voulez noir sans sucre, il faut rajouter à la fin de votre demande le mot sâda. Et il y a des mots pour les Égyptiens qui définissent toutes les façons de sucrer votre café. Mazbout, moyennement sucré ! Et sukkar ziyâda, pour le sucrer très fortement. Le café est un rituel et s’accompagne souvent de la chicha. Le café est la boisson de prédilection des Égyptiens, elle leur est aussi nécessaire que le vin aux Français. Le nectar favori des Cairotes a toute une histoire.
Il fut un temps où les cargaisons de café transitaient par Suez avant d’être acheminées par caravane vers le Caire. Des milliers de chameaux traversaient le désert, sous l’œil vigilant des bédouins. Le périple durait trois jours, au rythme des fortes chaleurs, des tempêtes de sable et des nuits glaciales. Les bédouins souffraient beaucoup lors de la traversée, mais il fallait acheminer le précieux café jusqu’aux caravansérails du Caire, ces grands bâtiments de pierre pourvus d’arcades, de colonnades et de fontaines, pour les locaux qui en raffolaient, mais aussi pour l’exportation dans tout l’empire ottoman. Le marché du café était dirigé par des hommes très puissants, les tuggar. Ils étaient si riches, qu’ils n’avaient pas moins qu’une vingtaine de domestique dans leur villa luxueuse et qu’ils participaient à la rénovation des mosquées et des bâtiments de la ville. Et si puissants qu’ils parlaient aux émirs et influençaient leurs choix. Ils formaient l’élite de la population égyptienne. On disait que le café était bon pour la santé et agréable au Dieu vivant en raison de son odeur et de l’énergie qu’il donnait aux gens. Très vite, les premières maisons de café ouvraient au Caire. On pouvait y jouer aux échecs, écouter de la poésie, et surtout discuter en sirotant le breuvage noir. La bourgeoisie aisée locale prenait plaisir à se retrouver les après-midis pour un café au coin de la rue, sur les grandes avenues du Caire ou sur les allées d’un parc. Le café devenait tellement populaire que seul les pyramides du Caire en connaissaient le secret et les vertus. Le café rassemble, le café permet de socialiser.
Alors thé ou café pour ces deux hommes d’affaire portant un tarbouche ? Aujourd’hui, ce sera deux thés. À sa manière, Paul Morand nous sauve la mise en affirmant : « Par le thé, l’Orient pénètre dans nos salons ; par le café, il pénètre dans nos cerveaux ».
Alan Alfredo Geday