John se lève à cinq heures ce matin. Il donne un coup sec sur son réveil, enfile son peignoir et ses pantoufles, puis s’assoit à son bureau. Son compagnon de chambre a l’habitude, il s’enroule dans ses draps sans broncher. John se réjouit. C’est samedi. Pas un jour comme les autres. Il ne faut pas perdre de temps. Il doit étudier les mathématiques jusqu’à dix heures. Il pose sa montre devant ses livres. Deux grandes colonnes de livres en cuir brun, aux pages remplies de formules et de chiffres. Quatre heures de mathématiques, c’est parti ! Il a un emploi du temps chargé. Tout à l’heure, il remontera la Charles River en aviron. Il sentira ses muscles se dérouler au fil de l’eau. Il sentira l’air piquant de l’hiver sur ses joues. Il a hâte. Mieux vaut étudier avant l’aviron, il n’a plus la tête à étudier après deux heures d’effort. John est fier, il a intégré l’université de Harvard grâce à son oncle Frank. Ce dernier lui a prêté une belle somme qui lui a permis d’entrer dans ce prestigieux établissement. Un rêve qui se réalise. Dix mille dollars américains, ce n’est pas rien ! Oncle Frank est un self-made man, mais il connaît la valeur des études universitaires. Et pour une université comme Harvard, on ne réfléchit pas à deux fois avant d’aider son neveu. C’est ainsi que John étudie les sciences et la technologie à Harvard. Il souhaite intégrer de grands groupes américains comme Ford ou la NASA. Il est doué, il en est capable. Seul l’élite de la nation rentre à Harvard. La sélection y est dure, les admissions réduites, et les concours d’entrée difficiles. John se verse un gros bol de café noir. Le café, ça réveille et ça aide à se concentrer sur les formules de maths.
L’aviron est une tradition britannique, mais les Américains ont vite adhéré à ce sport. Il faut dire que l’esprit de compétition, le dépassement de soi, et le travail en équipe sont des valeurs chères à l’Amérique, et surtout aux grandes universités. L’aviron est plus prestigieux que le football américain, il a quelque chose de désuet et d’aristocratique, quelque chose de british que les Américains admirent. John se donne de belles manières depuis qu’il a intégré Harvard. Il s’agit de s’intégrer, de jouer à l’étudiant modèle, mais surtout de correspondre à l’esprit de l’université. Depuis qu’il porte le costume trois pièces de Harvard, il est un autre homme. Et ce qui lui plaît le plus dans l’aviron, c’est la compétition. Il veut honorer l’écusson de Harvard brodé sur son polo d’avironniste. Dans ce pays, les meilleurs, ceux qui gagnent toujours, ce sont les Bulldogs de l’université de Yale, comme on les surnomme. Dès qu’ils se présentent au tournoi d’aviron, il se mettent à aboyer, à hurler la victoire de leur équipe. Ils ne sont pas fairplay. L’équipe de Harvard, les Crimsons, se veut plus humble et plus sérieuse. Là où les supporters des Bulldogs se présentent avec des banderoles aux couleurs de l’université, des écharpes et des tambours, les supporters des Crimsons assistent à la compétition en costume cravate en fumant leur cigare. Les Bulldogs et les Crimsons se font la guerre depuis la création de leur université. Mais John est persuadé que les Crimsons de Harvard vont l’emporter cette année. Il regarde sa montre. Il est dix heures, et il doit filer à son cours d’aviron.
Alan Alfredo Geday
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