C’est la saison des pluies. L’air est lourd comme une chape de plomb. Les hélicoptères américains survolent la forêt tropicale. Larry est assis en face de Ethan, un Néozélandais porté volontaire pour la guerre du Vietnam. C’est un grand gaillard roux à moitié endormi sur sa mitraillette. Larry ne parle pas, il est sous le choc depuis son enrôlement forcé dans cette guerre. Il regarde par la porte ouverte. La forêt est grandiose. Elle est si dense. Des palmiers, des bambous, des rivières brunes. Il imagine les marines qui sillonnent la forêt, les Vietcongs camouflés dans les buissons, les tirs qui se perdent entre les arbres. Les Vietcongs, c’est Charlie, c’est l’ennemi. C’est la guérilla Nord Vietnamienne qu’il faut absolument abattre. Les Vietcongs sont malins ! Ils se cachent dans les buissons et redoutent l’as de pique, cette fameuse carte qui signifie la mort, cette fameuse carte que les soldats américains déposent sur chaque Vietcong abattu. Larry regarde les autres engins atterrir sur un grand plateau qui ressemble à un champ de blé. Au loin, les nuages se rapprochent. Des oies cendrées prennent leur envol. Soudain, le tonnerre éclate comme une bombe. La pluie tombe. L’hélicoptère sursaute. Ethan, le rouquin, se réveille et lance un sourire à Larry. Après tout, on est dans la même galère.
— Je m’appelle Ethan, hurle le marine. C’est une saleté que tu as là ! dit-il à Larry en pointant le M16 du doigt.
— Moi c’est Larry, hurle-t-il en retour.
— Tu vois ce que j’ai ! répond Ethan en lui montrant son M60. C’est une mitraillette made in USA, une vraie machine de guerre. Et pour abattre ces Vietcongs, c’est ce qu’il y a de mieux !
— T’inquiète pas Ethan, hurle Larry. Je m’y ferai !
— Tu viens d’être enrôlé dans la guerre, je suppose ?
— Oui !
— T’es donc un nouveau gars ! Ce que l’on appelle ici au Vietnam, les FNG !
— Les quoi ? demande Larry.
— FNG pour Fucking New Guy ! C’est à dire les nouveaux gars qui ne savent rien faire que laver les chiottes. Quand tu sauras te battre et buter des Vietcongs, tu seras alors un homme utile. Le respect ça se mérite au Vietnam.
— Tu viens d’où ? demande Larry.
— Je suis de Nouvelle-Zélande ! On n’en a rien à faire de là d’où tu viens, de ton fric, que tu aies étranglé ta mère ou que tu sois une star de cinéma. Ici, t’es juste un vrai mec ou tu crèves.
L’hélicoptère atterrit dans le camp de la compagnie Bravo. Le camp est dissimulé dans la brousse. Au milieu de nulle part. « Bienvenue au bout du monde », lance Ethan avant de se lever fièrement. Larry descend de l’hélicoptère et découvre l’endroit.
Larry sort de son sac tout ce qu’on remet aux marines de l’armée américaine : deux boîtes d’allumettes, un paquet de cigarettes, du produit antimoustique, des gélules pour la diarrhée, une petite gourde, deux paires de chaussettes, son uniforme de marine, des crayons de papier, quelques feuilles et quelques enveloppes. Il range ses bottes. Elles lui seront utiles pour marcher dans la forêt tropicale. Puis il nettoie son M16 avec précaution. Ethan est déjà en train d’écrire à sa copine. Il n’est pas bien bavard celui-là ! Et il trouve le temps d’écrire à sa fiancée.
La nuit est tombée. Larry écoute les bruits de la forêt tropicale. Des cris d’oiseaux et de singes, le bruissement des arbres. Le tonnerre éclate. La pluie résonne sur la tente. Il ne trouve pas le sommeil, étendu sur son lit au-dessus d’Ethan qui ronfle comme un bienheureux. Il est à l’autre bout du monde, et là-bas, dans son pays, les gens continuent à vivre comme avant. Comme avant, sa mère, Gladys a préparé du maïs. On danse au Savoy Ball Room. On écoute du jazz. Il a envie de musique. Il a envie d’évasion. Ici il n’y a que de la terre, des arbres et de la pluie. Et demain, il devra peut-être tuer. Tuer les ennemis des États-Unis comme de vulgaires bêtes.
Alan Alfredo Geday
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