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Les pauvres crèvent la faim, 1932


 

— Les enfants de Rarig n’ont pas faim ! Pourquoi nous, nous devrions avoir faim ? hurle la fillette en brandissant sa pancarte.

          — Pourquoi ne pouvez-vous pas donner un boulot à mon père ? s’exclame le petit garçon habillé en ouvrier, parmi les manifestants.

 

La Grande Dépression sévit à travers le territoire américain. L’économie s’est effondrée, et continue de plomber le quotidien de la population. Pas un jour sans famine, pas un jour sans angoisse ou misère. Les fermiers et les agriculteurs ont ravagé les champs. Il n’y a plus une pomme de terre dans les champs agricoles, pas un navet, pas une citrouille. Rien ! Les champs sont déserts, sens dessus dessous. « On n’a plus de provisions » hurle une manifestante. C’en est de trop. À Chicago, les hommes riches se pavanent pendant que les gens se bousculent sur les trottoirs pour un bol de soupe. À New York, les actionnaires de Wall Street voient les files de pauvres s’allonger pour recevoir un morceau de sucre. À Columbus, dans l’Ohio, les industriels comme Monsieur Rarig, donnent du pain rassis aux ouvriers qui ont accepté de travailler pour un salaire réduit de moitié. De jour en jour, le fossé se creuse entre les riches et les pauvres. Les plus aisés étalent leurs richesses plus que jamais. Dix hommes dans le pays pourraient acheter le monde et dix millions ne peuvent même pas manger. Et Rarig, que la fillette mentionne sur sa pancarte, est l’un de ces ingénieurs qui continue à bien se remplir l’estomac et les poches pendant la crise d’approvisionnement. Il détient l’une des usines de fabrication les plus complètes et les plus modernes d’Amérique. L’usine produit des moteurs Corliss, des affûts de canon à usage militaire, des machines de haut fourneau, des machines de laminage et toute sorte de structures métalliques lourdes. Que du solide ! Mais le métal ne se mange pas ! Et avaler un affût de canon, c’est se suicider ! La foule hurle en chœur : « On a faim ! On a faim ! On veut travailler ! »

 

Les hommes ont perdu leur travail et n’ont plus d’argent sur leur compte en banque, sous leur matelas et même dans leur portefeuille. Les banques, comme la plupart des institutions américaines, ont fait faillite. Leur banque a claqué la porte, et les coffres forts ont perdu leur verrou. Les hommes ont faim, et les enfants manifestent avec leurs parents pour exprimer leur désarroi et leur désolation. Incapables de payer un logement adéquat, les familles se sont entassées dans des Hoovervilles, ces bidonvilles qui ont commencé à apparaître après le krach de 1929 et qui portent le nom du président américain d'alors, Herbert Hoover, qui ne parvenait pas à faire reculer le chômage et la misère. En 1932, le nouveau président, Franklin Delano Roosevelt, leur promet du travail. Il est impliqué et se bat pour sauver la population de la pauvreté. Il propose un « New Deal », mais les résultats se font attendre. Des hommes sont prêts à tuer des oiseaux pour manger, à abattre des rats pour faire entrer une vermine dans leur estomac. C’est de la folie, c’est insensé !

 

— Il n’y a plus de nourriture en Amérique, dit la fillette à sa mère. Et moi, j’ai faim, mais je ne le dirai jamais à mon père, continue-telle fièrement.

— Mon père buche et trime pour mettre du pain sur la table, se vante le petit garçon.

 

Cette table faite de bois, elle est vide. Et le bois ne se mange pas. L’impensable est arrivé à toute une nation. L’américain crève la faim. Les hommes veulent travailler et ils sont prêts à retourner à l’usine, sur les chantiers, sur les routes, dans les champs, en haut des buildings, à quinze mètres de haut s’il le faut !

 

Les pauvres ! Les pères ! La faim est la pire chose qui puisse ronger les hommes !

 

Alan Alfredo Geday

 

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