À l’automne 1938, alors qu’en Europe les accords de Munich étaient signés, Charlie Chaplin achevait la première ébauche de son manuscrit dans le plus grand secret. La rumeur circulait que le créateur de Charlot allait créer un personnage inspiré d’Adolph Hitler. Simple provocation ? Après un long travail d’écriture et de mise en scène, il présenta son premier film parlant, en octobre 1940, à New York. Le long métrage eut une réception mitigée, l’opinion était réticente à une entrée en guerre, mais le film fut nommé pour cinq Oscars. Et bien sûr, il demeure un chef-d’œuvre incontournable de l’époque moderne. La Tomainie est un pays imaginaire créé de toutes pièces par Charlie Chaplin. Son dictateur Adenoïd Hynkel enchaine les discours dans la langue du pays que Charlie Chaplin a nommée le Tomainien : un charabia à consonance allemande saupoudré d’anglais. À cette époque, le charabia s’inscrit dans la tradition du music-hall et notamment la pantomime. Le Dictateur n’est pas seulement une caricature du régime d’Adolph Hitler, mais il peut être interprété comme une métaphore de la parole et de ses limites. Avec le discours de Hynkel, Chaplin fait cohabiter la pantomime avec un humour plus verbeux. Seul un public issu de l’univers culturel anglophone et tout particulièrement nord-américain est de fait capable d’apprécier tous les registres linguistiques et comiques du dictateur.
Avec Le Dictateur, Chaplin se présentait comme un lanceur d’alerte et affichait son humanisme idéaliste, notamment lors du discours final du barbier juif devenu malgré lui « empereur du monde ». Ainsi, le barbier du ghetto avait l’occasion de dévoiler le fond de son cœur au monde entier, et sous les traits d’un dictateur, c’était le quidam pacifique et sensible qui s’exprimait : « L’avidité a empoisonné le cœur des hommes, a barricadé le monde avec la haine, nous a fait sombrer dans la misère et les effusions de sang. Nous avons développé la vitesse pour nous enfermer sur nous-mêmes. Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence durs et méchants. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez, nous avons besoin d’humanité, plus que d’intelligence, nous avons besoin de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence et tout est perdu. »
La rumeur courut qu’Adolph Hitler, après avoir fait interdire le film en Allemagne, s’était procuré une copie pour le visionner en privé. Charlie Chaplin, quand il apprit la nouvelle, avoua qu’il aurait donné n’importe quoi pour savoir ce qu’en avait pensé Hitler. Mais malgré le discours de Charlie Chaplin sur la démocratie, il fut soupçonné de sympathie pour le communisme dans les États-Unis maccarthystes des années d’après-guerre. Le public était sous le choc, on le prit pour un communiste, et même pour un Juif. Charlie Chaplin répondit : « On n’a pas besoin d’être juif pour être antinazi. Il suffit d’être un être humain normal et décent ». Charlie Chaplin choisit alors la neutralité et s’installa en Suisse jusqu’à sa mort.
Alan Alfredo Geday