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Les Françaises doivent voter, 1936


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En France, en 1936, les manifestations pour l’obtention du droit de vote des femmes se multiplient. Les députés ont presque voté la loi, il ne manquait qu’une simple et pauvre voix. Une seule voix, un seul homme ! Un seul homme pour faire la différence et que les femmes deviennent citoyennes. Pourtant, depuis le 4 juin, trois femmes sont entrées au gouvernement, et c’est déjà un pas de géant pour la société française, mais ce pas n’est pas suffisant pour changer les esprits. Le Sénat fait durer le débat, les discussions s’éternisent, les sénateurs ne semblent pas pressés. Au Royaume-Uni, les femmes peuvent voter depuis 1928 ! Les suffragettes ont su faire basculer les inégalités, et les militantes françaises comptent bien en faire autant. Le « pays des droits de l’Homme » porte son nom avec ironie.

 

« Les femmes aux urnes ! » scandent les militantes dans leur marche vers la place de la rue Royale. La Révolution est aujourd’hui une affaire de femmes. La liberté, l’égalité et la fraternité, ce sont de vains mots si elles ne peuvent pas voter. D’ailleurs, ne devrait-on pas trouver un autre mot que « fraternité » ? La fraternité, ça vient de « frater », c’est encore une histoire d’hommes, de frères. Et les femmes là-dedans ? C’est une question qu’ouvre la jeune Marie, étudiante studieuse et latiniste avertie. Jeanne lui répond qu’elle a sans doute raison, mais que ce n’est pas la priorité. Des actes ! Des lois ! Des décrets ! Il faut du concret et non pas des discours, des théories, et encore moins du latin ! Les femmes n’obtiendront aucun droit avec du latin ! « Tu te trompes, le latin c’est important pour montrer qu’on est aussi intelligentes, érudites et cultivées que les hommes », la reprend Marie. Mais pour Jeanne, le latin est une affaire de curés, de passé, ce n’est pas le présent et encore moins l’avenir. « La loi de 1905, ce n’est pas pour rien ! Moi je suis de gauche, je soutiens le Front Populaire, et la gauche s’en fiche bien du latin ! On préfère la Marseillaise, c’est en français et c’est un chant révolutionnaire ! » s’emporte Jeanne. Elle fait bien sûr référence à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 qui abrogea le régime du concordat de 1801.

 

Les manifestantes arrivent enfin rue Royale. La rue se remplit de femmes, de cris, d’affiches et de pancartes. La circulation est complètement bloquée.  Et qui voit-on arriver ? C’est bien Louise Weiss en personne ! Marie et Jeanne sont ravies de la rencontrer. Louise Weiss vient de refuser un poste ministériel proposé par Léon Blum. Elle a lutté pour être élue et non pour être nommée comme elle le dit si bien. Louise Weiss est un modèle pour toutes ces femmes, elle a du cran et de l’humour. Il y a peu, elle a offert aux sénateurs des chaussettes portant l'inscription « Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ». Quelle audace ! Quel à propos ! Cette Alsacienne est déterminée aujourd’hui à s'enchaîner devant les journalistes. Ces chaînes sont le symbole de la condition féminine en France, un symbole fort. Les femmes sont prisonnières dans cette République ! Marie et Jeanne s’exécutent de même et s’entourent de chaînes. Les journalistes s’en donnent à cœur joie, ces photos-là feront la une de leur journal demain ! Ah ! Ces petites femmes de Paris ont de l’humour ! Elles n’ont pas froid aux yeux !  Le rassemblement est vite rejoint par des hommes qui sympathisent avec la cause des femmes, des politiciens de gauche, des prolétaires, des ouvriers, des syndicalistes et tout le fatras. Louise Weiss est heureuse, c’est le moment tant attendu. Elle entend bouleverser l’inertie des élus nationaux par des méthodes radicales. Elle veut créer une association de toutes les Françaises, une association des « femmes nouvelles ». Louise Weiss enlève son chapeau et propose aux manifestants de voter. Son chapeau est devenu une urne. On participe et on dépose un bulletin de vote dans le chapeau de Louise Weiss. On éclate de rire, on se veut ironique avant tout.

 

Alan Alfredo Geday

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