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Les Bretonnes à la buvette, 1932


 

                   — Il était une fois un roi ! Il était une fois le roi Louis XIV ! s’amuse une Bretonne.

                  — Qui régnait sans répit sur la France et lorsque la guerre avec la Hollande éclata…

                  — La Bretagne naquit ! insiste fièrement la bigoudène.

                  — Plutôt la grandeur bretonne !

 

Ainsi, à cause de la guerre qui vit s’affronter la France et la Hollande, les caisses du Roi Soleil s’asséchèrent. Il fut un ministre qui s’appelait Colbert. Il conseilla au roi d’instaurer une taxe sur le papier timbré, s’appliquant ainsi à tous les actes notariés. Les Bretons s’offusquèrent de cette nouvelle taxe. Ce roi ne manquait pas de toupet ! Et les révoltes sévirent ainsi dans le pays. La colère ne s’exprima pas seulement contre le roi, mais aussi contre les seigneurs qui le représentaient. Les insurgés voulaient alors les forcer à renoncer à leurs privilèges. Les émeutiers sortirent de chez eux, portant un bonnet rouge ou un bonnet bleu, pour assiéger les châteaux. C’est la raison pour laquelle on l’appelle maintenant « la révolte des bonnets rouges ». La répression ne se fit pas attendre, et le roi fit pendre et envoyer aux galères les révoltés. Les Bretonnes perdirent leurs époux, leurs fils et leurs frères, et cette triste histoire resta gravée dans leur cœur. C’est ainsi qu’une coutume est née : la coiffe bigoudène, symbolisant tous les clochers abattus pendant la répression.

 

                  — Trugarez ! lance une bretonne au serveur de la buvette pour le remercier.

                  — Je prendrai la même chose s’il vous plait, lance la femme à la coiffe bigoudène. Un verre de chouchen !

Le serveur s’applique à servir cette boisson qui fait la fierté du pays. Autrefois appelé « souchen », le chouchen est l'alcool breton par excellence, le plus connu et réputé. Cette boisson liquoreuse à la couleur ambrée est obtenue par la fermentation du miel dans l'eau. On sirote joyeusement son verre. Les nuages s’amassent dans le ciel en ce mois de juillet. Le tonnerre gronde et le soleil est absent. On aperçoit au-dessus du clocher de la chapelle des lames tranchantes.

 

                  — Ma doué ! lance une femme observant la foudre s’abattre sur le clocher.

 

Ça veut dire « Mon Dieu ». À Sainte-Anne-d'Auray, en Bretagne, la chapelle est célèbre pour son sanctuaire et pour ses pèlerinages en l'honneur de Sainte Anne, à laquelle le peuple breton, très tôt, en devenant chrétien, avait dédié une chapelle. Cette première chapelle fut détruite vers la fin du VIIe siècle, mais la tradition en conserva le souvenir et le hameau fut appelé « Keranna », c'est-à-dire « Village d'Anne ». Plus de neuf siècles plus tard, en 1624, Sainte Anne serait apparue à plusieurs reprises à un simple et pieux paysan du village et lui aurait ordonné de reconstruire l'ancienne chapelle. La Bretagne est une terre bénie. On est superstitieux ! Mais surtout, très traditionnel ! Aujourd’hui, les femmes se sont apprêtées. Elles ont revêtu de longues robes, avec des tabliers blancs, des cols et des coiffes en dentelles. On se réunit avec fierté. Les hommes, quant à eux, ont mis une chemise blanche, un pantalon noir et un gilet près du corps. Le costume breton se veut d’un autre genre, d’un autre monde en ce jour des plus communs.

 

                  — Kant bro, kant giz ! hurle une femme. Cent pays, cent modes !

 

Alan Alfredo Geday

 

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