Son nom était John Steele, mais ses compagnons d’armes l’appelaient « John gros cul » à cause de sa gaucherie. C’était un parachutiste de la 82ème division aéroportée, l’un de ces braves gaillards de l’Illinois. Il était fort en gueule, il aimait blaguer, rigoler et surtout boire de la bière fraiche. Il adorait la pêche à la mouche et le jazz de la Nouvelle-Orléans. Un beau jour, quelques années après le début de la guerre, il fut réquisitionné et envoyé sur le front de Normandie. Sa première mission était délicate, car la 82ème division aéroportée devrait être larguée dans le village de Sainte-Mère-l’Église afin de libérer les Normands de l’occupation allemande. Cette nuit-là, le ciel était orageux. Le vent malmenait l’avion, la pluie s’écrasait contre les vitres. Les ailes vacillaient, elles semblaient en carton, prêtes à céder. Fichu temps français ! Les parachutistes avaient peur. Allaient-ils mourir à cause d’une bête tempête ? Allaient-ils être abattus par un escadron ennemi avant même de toucher terre ? Ils se serraient les coudes et se hurlaient des mots d’encouragements : « On va niquer ces saligauds ! »
La tempête se calma, et l’heure vint où l’avion lâcha les parachutistes. John Steele sauta dans la nuit profonde. Il ouvrit son parachute, et vola. Il ne voyait rien au sol qui puisse le guider. Il continua sa descente dans le néant quand, tout à coup, il aperçut une lumière. Ce devait être une maison de Sainte-Mère-l’Église. Il dirigea son parachute afin de rejoindre ce phare de fortune. Manque de chance pour John Steele qui ne voyait pas clair avec son masque : son parachute s’accrocha à la flèche de l’église du village. Les Allemands furent alertés. Un Américain était suspendu au clocher ! L’hilarité se répandit parmi les Nazis. Il fut décidé de le laisser dans l’embarras, afin de s’amuser de la situation. Les camarades de John Steele avaient mieux joué leur coup, tous étaient sains et saufs, et se relevaient sans peine dans les plaines environnantes. Mais lui était prisonnier, et il n’arrivait pas à se défaire de son parachute pour prendre la fuite. Cet idiot de coq français tournait dans le vent, enroulant les ficelles dans des nœuds interminables. Les heures s’écoulèrent. Bientôt trois. Il pouvait les compter aisément, il était bien placé pour entendre les cloches sonner. Finalement, deux soldats allemands, postés devant l’église, décidèrent de l’abattre comme un pigeon. Leur rire résonnait dans la nuit calme. Les balles sifflèrent aux oreilles de John. Il allait mourir à cause d’une église, lui le protestant de l’Illinois ! Dieu avait des manières cavalières de le rappeler à lui ! Quelle ironie… Mais soudain, les balles cessèrent. John n’entendit plus que le grincement de la flèche qui tournait. Étaient-ils partis ? Il ne les voyait plus…
Rudolf May et Rudi Escher, les deux soldats allemands, montèrent au clocher après avoir forcé les portes de l’église. Ils étaient bien décidés à ramener cet imbécile. Ni une, ni deux, ils s’emparèrent du pauvre John qui se balançait comme un pantin, coupèrent les suspentes du parachute, et le firent prisonnier. Ligoté dans le chœur de l’église, il fut interrogé. Mais John Steele ne parlait pas un mot d’Allemand. Le premier Allemand hurlait comme un damné cette langue incompréhensible. « Englisch ? » demanda le deuxième Nazi qui avait gardé son calme. John Steele montra sa poche pour toute réponse. Elle contenait une petite feuille, comme il se doit dans le protocole de guerre, qui le désignait soldat de la 82ème division aéroportée de la marine américaine. Les Allemands lui laissèrent la vie sauve, contre toute attente, et l’abandonnèrent à son sort pour la nuit.
Quelques jours plus tard, au petit matin, une centaine de ses camarades libérèrent le village de Sainte-Mère-l’Église. Ils avaient abattu tous les Allemands, même ceux qui avaient pris la fuite. Les habitants de Sainte-Mère-l’Église les accueillirent à bras ouverts. Quel héroïsme ! Mais surtout, ils voulaient rencontrer le légendaire soldat de l’église ! L’anecdote n’était pas passée inaperçue ! Une vielle femme s’approcha de lui avec un large sourire. « Vous m’avez fait tant rire ! » lui dit-elle. John ne parlait pas plus français qu’allemand, mais le visage hilare de la vieille dame parlait un langage universel. Et c’est de tout cœur qu’il rit avec elle.
Alan Alfredo Geday