Louis de Funès a eu une enfance difficile, sans père, mais accompagné d’une mère aimante. Ses premières années ont été assez tourmentées. Il grandit avec sa mère qui, selon lui, était son premier professeur de comédie. Elle le coursait autour de la table du salon en criant : « Yé vé té tué ». Léonor avait le sens de l’humour. Elle possédait, sans le savoir, le génie des planches. Louis de Funès est entré en internat quelques années plus tard. Rêveur, indiscipliné et taciturne, son physique malingre, son nez allongé et son regard apeuré en ont fait le souffre-douleur de ses camarades du pensionnat. À l’âge de seize ans, après des études secondaires moyennes au lycée Condorcet, et sur les conseils de son frère, devenu fourreur, Louis de Funès entre à l’École professionnelle de la fourrure, située près de la place de la Bastille, mais il en est renvoyé pour chahut. Il travaille ensuite chez plusieurs fourreurs, exerce successivement différents métiers. Il est comptable, puis étalagiste et même décorateur. Mais ses renvois systématiques, et la lassitude de ses frasques professionnelles conduisent sa mère à l’inscrire, en 1932, à l’École technique de photographie et de cinéma, située à deux pas de son domicile, où il choisit la section cinéma. En 1942, celui qui allait devenir le maître clown s’inscrit au cours Simon, réussissant son concours d’entrée grâce à une interprétation d’une scène des Fourberies de Scapin de Molière. Un hasard prodigieux. Louis de Funès descendait d’un wagon de première dans le métro et Daniel Gélin, déjà croisé au cours René-Simon, montait dans un wagon de seconde. La porte allait se refermer lorsqu’il lui cria : « Téléphone-moi demain. J’ai un petit rôle pour toi ».
Les enfants le connaissent tous, et le considèrent comme l’un des leurs. Il fait des gestes, il imite, il fait rire les adultes, et les gamins l’adorent. Encore aujourd’hui, à la télévision comme aux rediffusions cinématographiques, Louis de Funès ne peut passer inaperçu. Celui qui admirait trop Charlie Chaplin pour oser se comparer à lui est un clown de génie, à observer en détail. C’est aussi une autre histoire du cinéma français que l’on ne retrouve plus de nos jours. Louis de Funès reste un mystère. Celui d’être increvable à l’écran, d’être diffusé sans arrêt et sa valeur très sûre à résonner comme les Français d’une époque. Et ces Français ! C’est Cruchot dans Le gendarme de Saint-Tropez, c’est Pivert dans Rabbi Jacob, c’est aussi Charolais, Fourchaume et Brisebard. C’est aussi Saroyan dans Le Corniaud. La liste est infinie, mais tout a une fin, et Louis de Funès était déjà vieux quand il a connu le succès, quand il a fait entrer, sur deux ans, vingt-cinq millions de téléspectateurs dans les salles obscures.
Dans Le Corniaud, alors qu'elle n'a parcouru que quelques dizaines de mètres sur le chemin des vacances estivales, la 2CV bleue d'Antoine Maréchal se disloque, percutée en plein Paris par la Rolls Royce de Léopold Saroyan, directeur d'une maison d'import-export, d'origine arménienne comme son nom l'indique. On n’oubliera jamais cette scène où le pauvre Antoine Maréchal demande à celui qui a percuté sa 2CV ce qu’il deviendrait. « Ben un piéton ! » D'abord de mauvaise foi, celui-ci reconnaît ses torts, et offre à Maréchal la possibilité de poursuivre, tous frais compris, son voyage au volant de la superbe Cadillac décapotable d'un de ses clients américains. Ce dernier devra ainsi conduire le véhicule de Naples à Bordeaux. Et Gérard Oury créa l’histoire de ce fameux Youkounkoun, « le plus gros diamant du monde » caché dans le klaxon de la Cadillac. Le réalisateur Gérard Oury a su administrer à Louis de Funès des rôles d’insupportables tyrans tout en leur rendant une vague d’humanité. Louis de Funès était humain, tant que son cœur pouvait le porter. Il souffrait de la faiblesse du cœur tout comme il régalait et réjouissait des millions de téléspectateurs.
Alan Alfredo Geday
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