À l’entrée du cimetière national de Cypress Hills, à Brooklyn dans l’état de New York, les jeunes scouts se tiennent droit comme un i en attendant les instructions de leur chef. Parmi eux, deux garçons, Thomas Gregson et William Rush, s’impatientent. Ils tiennent des petits drapeaux américains qu’ils vont planter sur chaque tombe. En effet, aujourd’hui, la nation américaine célèbre tous les morts qui ont servi dans les rangs de l’armée américaine. C’est un jour de deuil, le jour de la mémoire célébré le dernier lundi du mois de mai. C’est un jour férié, et aussi un jour où l’on se recueille dans la joie. Thomas Gregson est fier de pouvoir entrer dans ce gigantesque cimetière. Il a hâte de côtoyer le silence des morts, de contourner les pierres tombales, et surtout de planter un drapeau américain devant chaque soldat d’une armée nationale puissante. William Rush ne partage pas le même sentiment. Cette immensité du cimetière, qui abrite les hommes qui ont succombé à leur peine, l’effraie. Il y a trop de morts dans ce cimetière. Ça montre la brutalité des combats, et la souffrance des soldats inhumés dans le cimetière national de Cypress Hills. Le chef attend que le croque-mort ouvre les portes du cimetière. À la queue leu leu, les scouts discutent tranquillement :
— Un jour, je serai dans l’armée américaine. Un jour, j’aurai ma propre couchette à bord d’une frégate qui portera le nom d’un président américain, se vante Thomas Gregson. Un jour, je tiendrai une machine de guerre comme un fusil de pointe ou une mitraillette. Je me battrai pour ce pays quelles que soient les circonstances.
— Tu parles beaucoup Thomas ! lui rétorque William Rush. Pour entrer dans l’armée américaine, il faut s’entrainer des mois entiers, et même des années. Il n’y a pas de répit. Tu dois écouter les ordres de tes supérieurs. Et puis la mort ne t’effraie pas ?
— Mourir bêtement sans avoir servi mon pays m’effraie encore plus. Je préfère servir l’armée. Comme ça, si je meurs, je serai enterré dans ce beau cimetière.
— T’es drôle tu sais, dit William Rush. La mort est effrayante, tu ne respires même pas sous terre. Tu n’es qu’une poussière sur tout ce terrain.
— L’homme est fait de poussière, et la poussière retournera à la terre, dit fièrement Thomas Gregson. Comme tous les hommes, tu ne vas pas vivre éternellement.
— Ça suffit comme ça Gregson et Rush ! On en a assez entendu ! Un peu de silence et de respect pour les soldats ! gronde le chef des scouts.
Le croque mort est arrivé. Il ouvre le lourd portail du cimetière qui grince sur les graviers. Les scouts entrent un à un sous la supervision de leur chef. Thomas Gregson et William Rush se dirigent vers les soldats morts pendant la guerre de Sécession. Les pierres blanches s’alignent infiniment. Et il faut planter un drapeau américain devant chaque homme mort au combat. William Rush décide de porter les drapeaux pendant que son camarade les plante dans le sol encore humide. Seul le silence règne dans tout le cimetière. Un sentiment de peine mêlé à la joie envahissent les deux garçons.
— Je ne vois pas de nom de femme, indique William Rush.
— Les femmes ne font pas la guerre, elles les provoquent ! insiste Thomas Gregson en plantant un drapeau.
— Ces hommes-là sont morts il y a plus d’un siècle…
— C’était la guerre civile américaine, les Confédérés combattaient contre les hommes de l’Union. Le pays a été détruit, et il y a eu des milliers de morts dans les deux camps…
— C’est tellement facile de mourir au combat…, soupire William Rush.
— Ça ne se passe plus comme ça ! Aujourd’hui il y a des mitraillettes et des armes de pointe pour faire la guerre. Comme les hommes qui font la guerre contre les communistes au Vietnam…
La journée se terminent pour les jeunes scouts. Leurs mains sont noircies par la terre, leur cerveau est lavé par l’émotion. William Rush planter son dernier drapeau. Le chef fait signe aux scouts de le retrouver à l’entrée du cimetière. Thomas Gregson attend son ami qui se lève, pose la main sur son torse, et ôte sa casquette. Thomas Gregson se met à genou. William Rush marmonne humblement : « Nous nous souvenons de vous, nous vous honorons, nous vous aimons et nous vous remercions humblement pour votre service. Un simple « merci » n'est pas suffisant pour tout ce que vous avez enduré. Nous prions pour que vous viviez à travers les souvenirs affectueux partagés par votre famille et vos proches. Nous prions pour que les querelles, les batailles et les blessures de la guerre soient apaisées pour l'éternité dans la grâce aimante de Dieu. Puissiez-vous trouver enfin le repos et savoir que ceux qui vous restent chérissent votre esprit, honorent votre engagement, vous envoient leur amour et n'oublieront jamais votre sacrifice ».
Alan Alfredo Geday
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