À Colombey-les-Deux-Églises, la rumeur circule que le général de Gaulle est revenu au village. Quelle bonne nouvelle ! Malgré son grand âge, il reste l’enfant prodige de ce petit village de Haute-Marne. Dans les ruelles arpentées de Colombey-les-Deux-Églises, les habitants veulent voir celui qui a dit non, celui a lancé l’appel du 18 juin 1940, celui qui a libéré la France. Ah le voilà ! « Vous êtes un héros, vous êtes un sauveur mon général ! » lui murmure la sœur religieuse si fière de lui. Le général est perplexe, la guerre est terminée, la France a été libérée, l’économie a été relancée. Et aujourd’hui ? La jeunesse veut s’émanciper. Les ouvriers accusent le capitalisme de la société française. Les jeunes Français et Françaises ne cessent de se faire entendre. Les manifestations de Mai 1968 ont mis sens dessus dessous les plus grandes villes de France. Le pays est déchiré. Les trains et les autobus sont à l’arrêt, les avions cloués au sol, les ports bloqués par la grève des dockers, le service postal en panne. Les Français lui reprochent sa gestion de la guerre d’Algérie. On le fait passer pour un vieux réactionnaire et autoritaire. On ne le voit plus en héros. Il est le symbole d’une société bourgeoise et moralisatrice, mais aussi d’un État inégalitaire qui creuse le fossé entre les ouvriers et les classes favorisées.
— Vous faites l’Histoire mon général ! le complimente la sœur religieuse. La France est restée debout, les Français ont répondu à votre appel…
— Ma sœur ! L’Histoire commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. Il est le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l'histoire de France à partir de l'accession d'un roi chrétien qui porte le nom des Francs.
— Vous êtes un catholique discret.
— Oui, je ne communie jamais en public lors des messes officielles. Je préfère aller à la messe de notre cher village.
— L’Église a été meurtrie par cette guerre… Les Français ont perdu leur confiance…
— Oui, toute une partie de l’épiscopat a pris parti pour le régime de Vichy, et les conséquences pour le clergé n’ont pas été des moindres… Mais ma chère sœur, aujourd’hui les jeunes Français veulent la liberté sexuelle, le droit à l’avortement, à la pilule, alors l’Église catholique, ça leur passe au-dessus de la tête. Et je me sens perdu dans cette époque.
— Mais où étiez-vous mon général, le 29 mai ? On vous a attendu à Colombey-les-Deux-Églises et on s’est inquiétés. À moi, vous pouvez bien le dire…
Ce 29 mai 1968, en pleine agitation sociale et estudiantine, le général de Gaulle a annulé son conseil des ministres et a quitté Paris dans le plus grand secret. Nul ne savait où il allait, personne ne connaissait sa destination finale. L’hélicoptère s’est envolé aux environs de midi, et le général a réapparu en Haute-Marne au coucher du soleil. Mais que s’est-il passé pendant plus de six heures ? Le mystère reste entier. Ce jour-là, les services publics étaient paralysés, et les étudiants scandaient : « Dix ans de de Gaulle, ça suffit ! » Que s’est-il passé pour qu’il revienne sur ses doutes et ses intentions de démission ?
Alan Alfredo Geday