Maria naît en 1905 à bord d’un train allant du village de ses parents au Tyrol à un hôpital de Vienne, en Autriche. Elle n'a pas la patience d'attendre l'hôpital. Elle veut voir le jour. Et son premier cri se mêle au bringuebalement des wagons. Sa petite voix porte loin. C'est un destin incroyable qui attend Maria, pense sa mère.
Peu de temps après la naissance de sa fille, la jeune mère tombe malade, et meurt d’une pneumonie. Maladie fréquente à cette époque, ravageant toutes les constitutions fragiles. Le père est terrassé de chagrin. Son épouse était la prunelle de ses yeux. Il n'arrive plus à s'occuper de l'enfant qui réclame ses tendresses nuit et jour. Et c'est ainsi qu'un beau matin, il décide de s'enfuir vers les confins du monde, chercher un nouveau soleil et un ailleurs réparateur. Que faire du nourrisson ? Il le confie à sa famille en hâte, et saute dans le premier train. Les vapeurs de la locomotive lui rappellent la naissance de sa petite fille. Il verse une larme et disparait. Maria grandit sans lui. Ses premiers refrains sont habités par la solitude. Elle attend celui qui ne reviendra jamais. Quand son père meurt, elle n'a que neuf ans. Maria est élevée par son oncle Franz, un homme ombrageux et sévère. Elle a peur de lui. Il la maltraite, il la moleste, il l’accuse à tort. Il n'est pas seulement dur, il est injuste. Alors, Maria trouve un réconfort dans la religion. Le Christ l'entend, le Christ la comprend. Ses chants d'enfants deviennent prières. Et le chœur de l'église lui fait monter les larmes aux yeux. Cette sensiblerie agace l'oncle Franz. Une fille à élever, ce n'était déjà pas un cadeau, mais une petite bigote ! Les coups pleuvent, les claques tombent, et Maria ne cesse de prier à voix basse. Cette enfance sombre la rend timide, et doucement triste. À l'école, elle n'en est pas moins appliquée. Son sérieux impressionne, elle a de bonnes notes. Et elle veut devenir institutrice.
La route est longue pour Maria. Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires, fatiguée de la violence de son oncle, elle s’enfuit chez une amie. Elle n'a pas un sou en poche, elle est femme, elle est orpheline. Comment pourra-t-elle intégrer l'école supérieure pour devenir institutrice ? Maria est courageuse, elle sait que Dieu entend ses prières, que son cœur est pur et qu'elle trouvera sa voie. Et en effet, un jour, elle fait une rencontre fortuite. Un directeur d’hôtel lui demande si elle souhaite arbitrer un tournoi de tennis. « Oui, bien sûr ! » répond-t-elle sans hésiter. Elle ne connait rien au tennis. Elle ignore tout de l'arbitrage. Elle n'a pour elle que son aplomb et sa persévérance. Elle se prépare, se renseigne, et fait au mieux pour juger ce jeu qu'elle découvre. Le directeur n'y voit que du feu, et la garde à son poste pour quelques matchs. Maria ne dépense rien de ses salaires, elle économise patiemment, elle a un rêve à réaliser. C'est ainsi qu'elle parvient à réunir assez d'argent pour intégrer la fameuse école supérieure.
Maria obtient son diplôme, et sort de son école couronnée de succès. Où postuler maintenant ? Elle n'hésite pas longtemps. Une cause na l’a jamais quittée : la religion. C’est ainsi qu’en 1924, elle entre à l'abbaye de Nonnberg, un monastère bénédictin à Salzbourg, pour devenir une religieuse et une institutrice. Une mission particulière lui est alors confiée par la supérieure du couvent : enseigner à l’un des sept enfants d’un veuf des alentours, le capitaine Georg von Trapp. Sa petite fille est convalescente et a besoin d'un enseignement à domicile. Ainsi, Maria se rend dans la somptueuse villa de la famille Von Trapp, trônant au milieu des collines verdoyantes. Le chant des oiseaux l'accueille, précédent les cris joyeux des enfants. C'est un coup de foudre. Les enfants lui ravissent le cœur instantanément, et Maria les charme par sa beauté, sa douceur et sa gentillesse. Les jours filent, et l'institutrice voit grandir son amour pour Rupert, Agathe, Werner, Hedwig, Johanna et Martina. La fratrie a besoin de distraction, et Maria s'amuse à leur enseigner le chant. Quelle surprise de découvrir leur talent ! Quelles prédispositions ! Mais Maria sait qu'à tout talent son labeur, et ne manque pas de rigueur dans son instruction. Le solfège est aussi important que le travail de la voix, et les capacités individuelles ne sont rien sans un esprit d'équipe. Une chorale est une harmonie. Une chorale est une alliance.
Le capitaine Georg Von Trapp est un homme austère et sérieux. Il observe à distance cette institutrice qui s'occupe si bien de ses enfants. Ne seraient-ils pas heureux si elle demeurait avec eux ? Et par amour pour ses enfants, il demande la jeune fille en mariage. Elle a vingt-cinq ans de moins que lui, et souhaite consacrer sa vie à Jésus, mais Maria est si attachée aux enfants, qu'elle souhaite réfléchir avant de donner sa réponse définitive. Alors, elle revient au monastère pour interroger une sœur. Celle-ci la regarde avec tendresse, longtemps, la dévisage, médite. Elle se racle la gorge, et prononce ces paroles qui changeront le destin de Maria : « Ce doit être la volonté de Dieu. Épouse cet homme et élève ses enfants. Tu as tant de bonté pour eux, Dieu ne t'a pas mise par hasard sur leur chemin ». C'est avec amertume que Maria épouse Georg Von Trapp. Elle ne s'était jamais imaginée se marier. Et encore moins avec un homme qu'elle apprécie, mais qu'elle n'aime pas profondément. Qu'importe, les cloches de l'église tintinnabulent, son voile blanc frémit sur son visage blême perlé de larmes. Son destin est scellé.
La famille von Trapp s'enfuit vers les États-Unis lors de l'ascension d'Hitler. Les concerts se multiplient. La petite chorale familiale arrive aux oreilles de milliers de spectateurs. Et surtout, l'autobiographie de Maria von Trapp connaît un succès retentissant quand elle est adaptée en film : La Mélodie du bonheur.
Alan Alfredo Geday