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Le déluge, 1956


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En ce matin de janvier, les Nantais se sont réveillés mal en point. La Loire est sortie de son lit et a tout inondé sur son passage. L’eau est montée rapidement, et l’inondation a pris une grande ampleur. Les habitants sont sortis de chez eux ébahis par le spectacle. Ils ont essayé de sauver tout ce qu’il était possible de préserver. Les pompiers ont dû venir en aide aux personnes âgées, aux nourrissons, à ceux qui sont montés se protéger sur les toits, aux invalides, et surtout à ceux qui ne savent pas nager. On s’est servi de balais et de serpillères, mais il n’y avait rien à faire. Rares sont les fois où le fleuve a autant débordé. Et les habitants se sont vite organisés. On s’est servi de planche de bois comme de passerelles, on a rangé tous ses bien, ses livres, ses bibelots sur de hautes étagères. Les dégâts sont nombreux, et les pompiers sont débordés. Il faut tout déménager, les maisons, les fermes et même les quatre pattes comme les chiens ou les chats. Les Nantais n’ont pas eu la vie facile aujourd’hui. Heureusement, il y a les bateaux plats que les vaches peuvent enjamber. Ainsi, les fermiers laissent les bêtes naviguer jusqu’à Savenay où ils les récupèrent. Et les pompiers se sont vite organisés. Ils ont monté des appontements et des pontons. Ce matin, Nantes ressemble à Venise. Les habitants sont solidaires. Chacun sa façon de faire.

 

— Prenez ! dit le caviste en servant un verre de muscadet à ces deux pompiers. Ça ne peut que vous faire du bien, ça va vous réchauffer…

— Nous avons tout fait ! Que pouvons-nous encore faire ? demande le premier pompier. Il n’y a plus qu’à attendre que la Loire entre dans son lit. Espérons avant le coucher du soleil. La marée est trop haute pour espérer dormir dans son lit ce soir. L’eau a déjà baissé depuis ce matin, mais regardez-moi ce spectacle, enfin ! N’est-elle pas belle notre chère Venise mes amis !

— Nantes est la Venise de l’Ouest, confirme le deuxième pompier. Notre chère Nantes agonise, elle nous est chère. Et aujourd’hui, nous avons pataugé chez les habitants pour sauver ce qu’on pouvait. Le plus important, c’est que nos habitants soient tous en vie, c’est l’essentiel. Le reste peut se perdre, ça peut attendre…

— Ils ont raison, répond le boulanger, sa baguette à la main. Est-ce que je peux vous préparer un casse-croûte aux rillettes ? propose-t-il avec gentillesse.

— Je suis déjà bien rempli, dit le premier pompier en titubant. Nous n’avons pas fini de travailler, et avec un ventre plein, je ne ferai pas long feu pour terminer mon travail…

— Il reste un doigt. À qui de terminer ce bon muscadet ? s’amuse le caviste. Il est si gentiment proposé.

— Nous devons continuer. On n’a pas fini. Merci pour l’hospitalité. Restez chez vous et soyez courageux…

 

Les pompiers rincent leur verre dans l’eau et le rendent au caviste. Ils frappent à toutes les portes. « Ce sont les pompiers ! Tout va bien ! » Tout va toujours pour le mieux pour les habitants de Nantes, mais aujourd’hui, on est compréhensif face à la désolation du paysage. On se serre les coudes jusqu’à la retombée de la crue. On psalmodie quelques prières. On ne peut rien face aux forces de la nature. C’est comme ça ! « Bon courage ! Demain est un autre jour ! Tout va bien chez moi ! » affirme un ouvrier qui leur distribue un Petit Lu, « leur bon biscuit nantais », comme il le dit si fièrement. Les pompiers rangent leur biscuit dans leur large poche. Ce sera une récompense pour la fin de la journée. Un Petit Lu après avoir frappé à toutes les portes.

 

Alan Alfredo Geday

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