Le condamné, 1848
- alanageday
- 26 mai
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C’est son combat le plus long ! C’est son combat le plus constant ! C’est l’une de ses causes les plus importantes ! La lutte contre la peine de mort. Victor Hugo écrira en 1862 dans Les misérables : « L’échafaud est une vision. L’échafaud n’est pas une charpente, l’échafaud n’est pas une machine, l’échafaud n’est pas une mécanique inerte faite de bois, de fer et de cordes. Il semble que ce soit une sorte d’être qui a je ne sais quelle sombre initiative, il dévore ; il mange de la chair, il boit du sang. C’est une sorte de monstre fabriqué par le juge et par le charpentier, un spectre qui semble vivre d’une espèce de vie épouvantable faite de toute la mort qu’il a donnée ».
C’était en 1812 à Burgos en Espagne, berceau de la Vieille-Castille. Comment expliquer à un garçon de dix ans le spectacle auquel il allait assister ? Victor Hugo ignorait où sa mère l’emmenait. Elle avait gardé le mystère. Ils s’acheminèrent vers la place principale. La foule était dense et agitée. Ils se frayèrent un chemin vers l’échafaud qui trônait au milieu de la place. Le sang de Victor se glaça. « C’est la justice de ce pays » lui expliqua sa mère en lui serrant la main. Le condamné à mort traversa la ville sur une carriole de bois, exposé au regard haineux des villageois, et croulant sous les chaînes. Ses yeux inquiets n’échappèrent pas à Victor. On y lisait la terreur et le désarroi. Son front blanc suait à grosses gouttes. Il semblait psalmodier quelques prières confuses. La foule était galvanisée par le spectacle à venir. On lançait des hauts cris, des insultes et des tomates. On levait le poing. On se précipitait vers la carriole pour saisir un pied ou une main du condamné. On brandissait une croix ou une bible. Victor se pressa contre sa mère. Il ne voulait rien voir. C’était l’horreur humaine portée à son apogée. C’était de la haine à l’état pur. Justice ? Mais de quelle justice parlait-on ? Il allait assister à un acte barbare et inhumain. Le condamné monta sur l’estrade, épaulé par deux bourreaux au visage cagoulé de noir. Ils lui ôtèrent ses chaînes, et le couchèrent d’un geste brusque sur la guillotine. Le condamné leva les yeux vers la lame qui étincelait sous le soleil de midi. Le cœur de Victor bondissait dans sa poitrine. Le prêtre prononça quelques mots et se tourna vers les bourreaux. La foule se tut en cet instant solennel. Les bourreaux lâchèrent la corde. Un bruit sec retentit. La lame retomba sur le cou du condamné, et sa tête roula sur l’estrade.
Victor Hugo fut fortement impressionné par cette condamnation. Il a encore aujourd’hui des visions de cette foule qui hurlait la mort, des bourreaux qui dressaient la guillotine, et des yeux terrifiés du condamné. En ce 15 septembre 1848, il se lève pour discourir à l’Assemblée Constituante. Il rejoint le pupitre, et devant ces législateurs au cœur froid, il fait résonner sa voix tonitruante, pleine d’émotion et de colère : « J’ai examiné la peine de mort par ses deux côtés, action directe, action indirecte. Qu’en reste-t-il ? Rien. Rien qu’une chose horrible et inutile, rien qu’une voie de fait sanglante qui s’appelle crime quand c’est l’individu qui l’accomplit, et qui s’appelle justice (ô douleur !) quand c’est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce qui est crime pour l’individu est crime pour la société ».
Alan Alfredo Geday