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Le chef de l’Église, 1987

  • alanageday
  • 3 juin
  • 4 min de lecture

Getty Images
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« Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais c'est mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux… » dit Jésus de Nazareth à Pierre en lui reprenant la parole.

 

Deux millénaires après la résurrection de Jésus, le souverain pontife entre majestueusement et avec félicité dans la cathédrale Sainte-Marie à San Francisco aux États-Unis. L’immense bâtisse est si prestigieuse, elle est un coin de Paradis, et elle vient juste d’être inaugurée. Elle est éblouissante, fascinante et elle s’impose dans cette immense mégalopole qu’est San Francisco. Sur les deux côtés de la cathédrale, une cinquantaine de banc s’alignent. Un autel flambant neuf trône à la tête de la cathédrale. Le dôme orné d’une croix de l’Église est si haut, qu’il transperce le ciel bleu de San Francisco. Les paroissiens attendaient cette visite du pape avec vivacité. Ils comptaient les jours avant de pouvoir effleurer sa soutane blanche, si imprégnée de la force de l’Esprit Saint. Les hommes et les femmes humbles se lèvent pour honorer la présence du pape. On s’exécute, certains fléchissent les genoux avec humilité. Les fidèles effectuent un signe de croix en fermant les yeux. Les croyants égrènent le chapelet en laissant les perles en bois d’olivier ruisseller entre les doigts au rythme des pas du souverain pontife. Il entre pianissimo et bénit les assemblées à droite et à gauche. Les Américains vénèrent le chef de l’Eglise. Ils inclinent la tête en signe de respect. Le pape est ému par toute cette jeunesse venue de toute la cité pour l’écouter et méditer sur ses paroles. Il ne craint pas de s’adresser à eux. « N’ayez pas peur ! » leur murmure Jean Paul II. « Ayez la foi ! » « Croyez en Dieu » Des larmes coulent sur les visages, et les bambins pleurent. Il arrive derrière l’autel finement dressé pour l’occasion où le recteur de la cathédrale Sainte-Marie l’accueille. Il n’en revient pas et n’en croit pas ses yeux. Le chef de l’Eglise est présent. Il est là en chair et en os ! Et lui, Jean Paul II, sait très bien ce que ça veut dire d’être là en « chair et en os » ! Des souvenirs lui traversent l’esprit alors qu’il s’adresse au microphone aux chrétiens de San Francisco.  

 

La Pologne était envahie. La Pologne, cette mère digne de garder son fils unique, Karol Wojtyła. Les forces d'occupation de l'Allemagne nazie avaient fermé l'université où le jeune Karol Wojtyła étudiait. La population polonaise était asservie. Elle était soumise à la volonté du troisième Reich.  Telles étaient les lois pour les Polonais occupés par les forces nazies. Les hommes valides étaient tenus de travailler. C’était obligatoire. Pour éviter d’être déporté dans un camp de concentration, le jeune Karol Wojtyła travaillait comme coursier pour un restaurant, ouvrier dans une carrière de calcaire et employé à l’usine chimique Solvay. La vie n’était pas facile. Il respirait l’odeur âcre de ces camions qui sortaient de la carrière. Il portait des rochers au son des sirènes de la ville. Ses mains étaient noircies et blessées. Il trimait sans répit, au péril de sa vie. Il s’était camouflé de l’ennemi, il buchait en secret, il travaillait dans le silence. Un beau jour, alors qu’il se rendait à la carrière, il fut heurté par un tramway. Son crâne était fracturé, le laissant avec une épaule plus haute que l’autre. Un autre jour, il fut renversé par un camion de la carrière, le laissant vouté pour le reste de sa vie. Son père, officier de l’armée polonaise, mourrut d’une crise cardiaque pendant l’occupation nazi.

 

Jean Paul II s’adresse à toute l’assemblée réunie dans la cathédrale : « Je n'étais pas à la mort de ma mère, je n'étais pas à la mort de mon frère, je n'étais pas à la mort de mon père. À vingt ans, j'avais déjà perdu tous les gens que j'aimais ». Les paroissiens sont bouleversés par cette révélation. On entend des pleurs, des jeunes qui cherchent l’espoir dans le regard du représentant de Dieu sur terre. Jean Paul II continue de s’adresser à la foule dans le microphone. D’autres souvenirs lui reviennent en un éclair à l’esprit.

 

Karol Wojtyła retrouva la jeune Edith Zierer, âgé alors de quatorze ans, effondrée de fatigue sur les quais de la gare. Son visage était pâle et sa mine défaite. Elle s’était échappée d'un camp de travail nazi à Częstochowa. Elle haletait, elle s’était évanouie. Son souffle battait la chamade. Elle respirait au rythme des trains qui circulaient sur les quais. Le jeune Karol Wojtyła la porta, lui, l’homme costaud qui portait des morceaux de rocs dans la carrière, et l’emmena dans le train jusqu’à Cracovie. Il fallait éviter les officiers nazis qui surveillaient toutes les entrées et les sorties des trains. Il fallait esquiver ces soldats qui prenaient quiconque et personne pour les fusiller sur place. Et le futur Jean Paul II ne craignit pas de mettre fin à sa vie pour trahison. Plus tard, Edith Zierer reconnaitra que Karol Wojtyła lui avait sauvé la vie ce jour-là. Jean Paul II demande à l’assemblée d’effectuer un signe de croix. Ses paroles sont précieuses et sa voix douce comme un agneau. Il bénit la foule en levant les bras.

 

Des années plus tard, dans son dernier livre, « Mémoire et identité », Jean Paul II qualifiera les douze années du régime nazi de « bestialité ».

 

Alan Alfredo Geday

 
 
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