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La trêve du soldat, 1915


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La veillée de Noël approche à grands pas à Londres, et c'est ainsi que John a choisi de la vivre. Seul, il s'est aventuré dans les rues, à la recherche d'un sapin. Le froid mordant, la brise glaciale, la Grande Guerre à son apogée et les tranchées sanglantes en arrière-plan. Noël s'annonce triste. Pas de quoi trinquer face à tous ces hommes tombés au combat ! Pas de quoi se réjouir face à tous ces blessés soignés dans les gares ! Face à ceux qui claudiquent, borgnes, manchots, défigurés, sur les trottoirs moroses, portant la mémoire de l’horrible bataille de la Marne. Face aux veuves et aux orphelins. Face à la peur qui rend fou. La famine, la misère, les lendemains sans espoir. Mais John ne se laisse pas abattre, et l’odeur boisée du roi de la forêt est sa madeleine de Proust. Sa mère l’attend pour préparer le sapin. Après tout, Noël se célèbre en famille.

 

John se remémore ce jour unique et singulier qu'il n'aurait manqué pour rien au monde. Noël 1914, là-bas, de l’autre côté de la Manche. Les tirs d’artilleries et les grenades retentissent. Les poilus respirent la fumée noire, âcre et poisseuse des tranchées. Ils rampent dans le labyrinthe boueux et froid. La peur leur noue l’estomac, l’alcool aigre leur tourne la tête. La poussière dans les yeux, l’odeur du corps, nauséabonde, animale. Les explosions tonitruantes qui éclatent les tympans, laissant une trainée de bourdonnement. Chaque instant de silence annonce une catastrophe. Un répit qui n’augure que le pire. Mais ce jour-là, le miracle. Le silence s’étend sur les terres gelées, quand la nuit tombe. Le ciel est clair, la lune et les étoiles sont apparues derrières les fumées blanches dissipées. Le silence s’éternise, étrange et pénétrant. Un cri Allemand le rompt : « Joyeux Noël ». On leur répond en chœur, de l’autre côté du « no man’s land ». Les soldats britanniques, belges, allemands et français traversent les tranchées. C'est là que s'est conclu l'accord solennel, stipulant que pas un coup de feu ne devrait être tiré jusqu'à minuit ce soir. Ainsi, aucune détonation n'a troublé la quiétude de la nuit. Des cérémonies d'enterrement communes et des échanges de prisonniers ont lieu, et plusieurs réunions se terminent par des chants de Noël. C’est l'une des images les plus mémorables de la trêve.

 

Ce soir-là, John repère un officier allemand, probablement un lieutenant, et, en tant que collectionneur, il lui exprime son intérêt pour certains de ses boutons. Ronds et luisants, comme des cailloux. Le lieutenant lui en offre deux, qu’il avait arraché d’un coup sec, avec un sourire ému. Un peu de fil de couture et quelques nœuds, le sapin de Noël du « no man’s land » est alors décoré de quelques trésors ainsi glanés dans les tranchées. Ce soir, sous les yeux attendris de sa mère, John prendra plaisir à accrocher sa collection de boutons au sapin, une touche originale et merveilleuse. Un souvenir impérissable.


Alan Alfredo Geday

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