Marc vient d’avoir dix-huit ans et il a obtenu son baccalauréat de justesse. Même pas de rattrapages ! Il va pouvoir profiter de La Baule tout l’été ! Finies les révisions, fini le « bachotage », comme on dit au bahut. Il a jeté tous ses cahiers, tous ses classeurs et ses stylos quatre couleurs ! Quand il entrera à la Sorbonne, il écrira avec un stylo-plume digne de ce nom ! Mais ce qui le réjouit le plus, c’est la promesse de sa mère quelques semaines avant les épreuves : « Tu décroches ton bac, et ton père t’achètera une moto-cross ! Alors, applique-toi, pour une fois ! » Il faut dire que Marc n’avait jamais été un élève studieux et s’était toujours contenté des « peut mieux faire » dans ses relevés de notes. « Peut mieux faire ! Pourquoi tu ne fais pas mieux alors ? Ça fait dix ans que je lis la même chose ! » s’était emporté son père aux dernières vacances de Noël. Mais Marc s’en fichait pas mal d’agacer son père, il ne pensait qu’aux filles qu’il croisait en bas des pistes de ski et à son étoile d’or qu’il avait remportée haut la main cette saison. Cette promesse de moto-cross, par contre, c’était une autre histoire, ça le motivait bien plus que des leçons de morale ! Et puis Marc n’avait pas envie de se « retaper » la terminale. Les profs qui vous collent pour un oui ou pour un non, et les copains qui n’ont pas le droit de sortir après minuit, il en avait sa claque !
Son point faible, c’était la dissertation de philosophie. S’il décrochait un 2 ou un 3, comme à son habitude, adieu le bac, adieu la moto cross et les plages de La Baule ! Et Aurélie, avec qui il sortait depuis deux mois, irait à la fac sans lui. Il avait planché sur les annales du bac comme un fou, il avait lu des textes incompréhensibles de Sartre et de Socrate, et même de ce mec au nom tellement compliqué qu’il n’arrivait jamais à l’écrire : Nietzsche. Mais rien n’y faisait, la philo, ce n’était pas son truc ! Il savait bien penser par lui-même, à quoi ça servait de lire des pensées poussiéreuses qui voulaient lui apprendre la vie ? Il avait déjà ses vieux pour le faire à la maison ! Heureusement, il était tombé sur un sujet inspirant, une citation d’Alfred de Musset : « Tu as dix-huit ans et tu ne crois pas à l’amour ! » Et lui, l’amour, ça lui évoquait beaucoup de choses. Déjà, il y avait cette fille, Caroline, qui l’avait plaqué pour un gars plus âgé et qui lui avait brisé le cœur. Et puis Vanessa, Marie et Pauline, et enfin Aurélie. Il en avait vu du pays en matière de nanas ! Alors il avait dépassé ses peurs et il avait écrit une dissertation de sept pages ! Et tout écrit petit, sans rature, avec application !
Ce soir, c’est la dernière boum de l’année ! Tous les bacheliers ont rendez-vous devant le lycée avant d’aller chez Jean-Pierre. Il habite juste à côté du bahut et il a un appart d’enfer ! Ses parents sont à Deauville pour le week-end, ça promet d’être la folie ! On apporte de la bière, des packs de Coca-Cola, des chips et des pizzas. Jeanne a même fait des tartes aux pommes et Louis a volé une bouteille de whisky dans le bar de son vieux. Et qui vient d’arriver sur le parvis ? C’est Marc sur sa super moto-cross ! Quel pourri gâté, celui-là ! Il n’a même pas eu de mention à son bachot ! Aurélie décroche les écouteurs de son walkman de ses oreilles et lui roule une pelle devant tout le monde. « Eh ! Y a des hôtels pour ça ! » se moque-t-on. Mais Marc n’en a rien à faire et lance un doigt d’honneur à ses copains. « Tu montes ? » demande-t-il à Aurélie. « On va leur montrer à ces péquenauds ! » s’amuse-t-elle.
Jean-Pierre a décoré le salon de guirlandes dorées. Ce sont des guirlandes de Noël, mais quand même, c’est pas mal ! Fabrice est derrière les platines, il a apporté une dizaine de vinyles de Rock and Roll. Il montre avec fierté le dernier album de Michael Jackson, Thriller, qu’il a réussi à dégoter chez le disquaire de Montparnasse. Marc fait danser Aurélie, il a appris quelques passes au dernier rallye. Il n’est pas encore à l’aise pour le rock acrobatique, mais il s’essaye à plusieurs trucs originaux. Les copines d’Aurélie sont un peu jalouses. Elles aimeraient bien qu’on les fasse danser, elles aussi. Heureusement, c’est bientôt l’heure des slows et du fameux « quart d’heure américain ». Il est minuit quand Fabrice lance les premiers slows. Les adolescents révèlent leurs coups de cœur en s’invitant timidement à danser. On se regarde intensément sous les reflets d’une boule à facettes.
« Tu as dix-huit ans et tu ne crois pas à l’amour ! » C’était vraiment une veine de tomber sur ce sujet.
Alan Alfredo Geday