— Je suis ton créateur, répète Steven Spielberg à l’extraterrestre. Je t’ai créé, et maintenant tu es l’ami de millions d’enfants dans le monde.
— Elliott me manque, Elliott n’est plus là ! répond l’extraterrestre. Je veux revenir sur Terre vers Elliott, juste un dernier Halloween avec Elliott. Et sa sœur Gertie aussi !
— Elliott, c’est fini ! C’était la dernière fête d’Halloween sur Terre. Maintenant que tu es à la maison, tu ne devrais plus te préoccuper d’Elliott. Je t’ai créé, et tu es revenu à la création…, insiste Steven Spielberg.
L’extraterrestre ressent de l’amertume. Il veut s’assurer que son ami Elliott va bien, qu’il ne souffre pas de solitude, qu’il n’est pas en manque de pouvoirs, qu’il dort sur la bonne oreille. L’extraterrestre serait réconforté s’il pouvait juste savoir ce que fait Elliott, ce qu’il mange, quelles sont les filles qu’il embrasse. L’extraterrestre montre un humble mécontentement et relève son doigt qui s’illumine. Il démontre son pouvoir en révélant son doigt rougeoyant et en le posant sur le front de son créateur. « Ouuch ! » dit-il. À l’image de La Création de Michel-Ange, Steven Spielberg approche sa main du doigt brûlant de l’extraterrestre. Il connaît bien sa créature, elle est sensible et émotionnelle. Et Elliott lui manque. Sa créature s’est attachée à Elliott lors de son passage sur Terre. Leur amitié était tendre et pure. Les deux êtres ont appris à se connaître. Elliott était son meilleur ami sur Terre, mais l’extraterrestre devait rentrer à la maison. Il n’était qu’un être de passage, un voyageur égaré. Elliot s’est maintes fois demandé ce qui l’attendait là-bas, chez lui. Une famille, sans doute, des amis, un monde incroyable de petits extraterrestres aimables au doigt rouge. En tout cas, l’extraterrestre avait le cœur lourd d’être séparé de son monde, malgré leur amitié, malgré leurs beaux moments. Elliott rêve parfois de rejoindre son ami dans cette autre vie et de découvrir à son tour un autre peuple, d’autres us et coutumes et un nouveau langage. Alors il ferme les yeux et il revoit les grands yeux de son ami, il entend sa voix grinçante pleine d’affection, et il part avec lui pour de nouvelles aventures. Mais Steven Spielberg a été très clair à ce sujet : chacun son monde, et chacun sa vie, Elliott a déjà beaucoup à apprendre sur cette terre.
Parfois, assis à contempler les étoiles, l’extraterrestre se souvient de son passage sur Terre. À la fête d’Halloween, Elliott l’avait emmené avec lui et l’avait déguisé en fantôme. Il était alors un terrien comme les autres sous le drap blanc. Elliott voulait l’emmener partout avec lui, malgré sa différence. Il savait que l’extraterrestre pouvait effrayer les enfants, mais lui, il l’aimait pour ce qu’il était. Elliott fera un homme d’exception, pas de ceux qui méprisent et combattent les gens différents, pas de ceux qui ont honte de s’attacher aux marginaux, pas de ceux qui écrasent, piétinent et jugent les étrangers, pas de ceux qui ont peur et qui le font payer aux autres. Elliott sera un homme bon et généreux. Elliott sera un homme compréhensif et plein d’amour. L’extraterrestre lui souhaite une vie longue et paisible. Paisible, mais pas sans aventures extraordinaires ! Il sait qu’il a le goût de l’inconnu. Il sait que son Elliott est curieux, sensible et plein de vitalité. Avec ces qualités, il découvrira assez de choses pour remplir sa vie, pour la rendre intense et intéressante. En tout cas, la venue d’un extraterrestre lui aura enseigné l’humilité. Les humains ont tendance à se croire le centre de l’univers, à se penser supérieurs à toute forme de vie, même celle qui cohabite avec eux sur la Terre. Ils sont violents avec ce qui ne leur ressemble pas, et même entre eux. Mais son Elliott, il sait maintenant que c’est un comportement brutal et stupide. La vie est partout autour de soi, et quand on ne la respecte pas, on se ferme toutes les portes du bonheur.
L’extraterrestre adore son créateur. Même s’il a séparé les deux amis, il a orchestré leur rencontre improbable. Comment l’extraterrestre a-t-il pu être accueilli à bras ouverts dans cette gentille famille américaine ? Nul ne le sait, mais le mystère amplifie la légende. Steven Spielberg aime les histoires légendaires. Il faut en dire, mais pas trop, mais pas tout, mais pas trop longtemps. Il faut faire rêver, mais il faut laisser imaginer. Steven Spielberg est un magicien, comme tout conteur d’histoire. Le créateur laisse l’extraterrestre poser son doigt encore une fois sur son front. « Ouuch ! » dit-il. Lors de son séjour sur terre, l’extraterrestre a fait beaucoup de choses avec son ami Elliott. Il a utilisé ses pouvoirs pour raviver des chrysanthèmes morts, faire léviter les boules d’un système planétaire, guérir son ami Elliott, faire voler des bicyclettes au-dessus de la forêt par télékinésie... Mais surtout, il s’est lié à l’âme et à l’esprit d’Elliott. Si Elliott est triste, l’extraterrestre s’attriste. Quand Elliott est malade, l’extraterrestre est malade. Et maintenant, à des milliers d’années-lumière de la Terre, ressent-il encore autant les émotions de son ami Elliott ?
Alan Alfredo Geday