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L’orfèvre des mers, 1950


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— Je t’aime Papi ! lui dit sa petite-fille.

Sur la côte ouest du Cotentin, une légère brise s’est levée avec la marée haute. Déchiqueté par des falaises abruptes, le cap de la Hague est un paradis pour Béatrice qui passe du temps avec son grand-père. Aujourd’hui, c’est dimanche, et son grand-père Rodolphe a décidé de l’emmener sur une crique de galets. Rodolphe est à la retraite, et il a passé cinquante années de sa vie en tant qu’ostréiculteur. Les huîtres ne lui sont pas sorties par les oreilles. Il les adore toujours, et il continue de se faire un bon gueuleton iodé trois fois par semaine. Rodolphe se réjouit de discuter avec sa petite fille, et de lui faire découvrir le cap de la Hague.

— Papi, pourquoi tu souris ? lui demande-t-elle.

— Je pense à une histoire… Un roman que je viens de terminer...

— C’est Les Trois Mousquetaires ? demande Béatrice curieusement. La maîtresse nous fait lire Les Trois Mousquetaires !

— Connais-tu l’orfèvre des mers ?

— Non, mais ce doit être une belle histoire, ça aussi…

— L’orfèvre des mers, c’est l’huître…, continue Rodolphe.

— Alors raconte-moi cette histoire, le coupe Béatrice. De quoi parle ce livre ?

— Ça parle d’un pauvre pêcheur de perles, Kino, qui vivait sur une péninsule au Mexique. Il avait une femme qui s’appelait Juana et un nourrisson qui s’appelait Coyotito. Kino était très pauvre, mais pour autant, il était heureux. Comme tu vois, parfois, il suffit d’un rien pour être heureux. La brise du Cotentin peut te rendre heureuse, ses falaises abruptes de bonne humeur, et ses criques de galets, le son des vagues, le reflux de l’océan, tout ça peut te rendre joyeuse.

— Tu es heureux Papi ? demande Béatrice.

— Je me réjouis de passer la journée avec toi, c’est un bonheur !

— Alors continue cette histoire Papi…, le reprend Béatrice.

— Donc Kino, Juana et Coyotito étaient heureux. Mais un jour, un grand malheur arriva. Le pauvre petit Coyotito fut piqué par un scorpion, et comme tu le sais, le venin du scorpion est mortel !  Kino et Juana étaient désespérés ! Et le seul médecin que Kino connaissait refusait de soigner son bébé. Alors, Kino décida de faire appel aux miracles de la mer. Il pria longtemps la mer de sauver son pauvre petit Coyotito. Ses prières étaient des chansons. Comme tout pêcheur de perles, il savait s’adresser à la mer :

 

Aux clartés des étoiles

Je crois encore la voir

Entrouvrir ses longs voiles

Aux vents tièdes du soir

Ô nuit enchanteresse

Divin ravissement

Ô souvenir charmant

Folle ivresse, doux rêve

 

— Que s’est-il passé après les chansons ? demande Béatrice.

— Alors que Kino était en pleine mer, il aperçut un reflet lumineux au fond de l’eau. Et sais-tu comment la mer confectionne des perles ? C’est grâce à la création des huîtres, c’est la force de la nature ! La voilà, elle était là, cette magnifique perle… La perle qui allait sauver Coyotito, la perle qui allait le guérir de cette piqûre de scorpion, la perle de la chance. Il prit son souffle et plongea dans l’eau. Elle était entre ses mains, et la vie de son bébé Coyotito en dépendait.

— Coyotito a été guéri ? le relance Béatrice.

— Oui, mais la rumeur s’était vite répandue dans le village de pêcheurs que Kino avait pris la plus belle perle, qu’elle était très grosse et lumineuse et qu’elle avait des pouvoirs magiques. Ils l’ont envié, ils ont voulu avoir la perle. Les marchands se disputaient la perle, et le village paisible de Kino devint une vraie foire d’empoigne, comme on dit. Kino pensait vendre sa perle à très bon prix et pouvoir faire vivre sa famille dans une jolie maison, envoyer un jour Coyotito à l’école… Mais personne ne voulait la lui acheter à un prix raisonnable et tout le monde lui en voulait d’avoir trouvé cette perle ! Et une nuit, des malfaiteurs tentèrent même d’assassiner Kino dans son sommeil pour lui dérober la perle !

— Et Kino est mort ?

— Non, Kino a réussi à survivre. Mais à force d’être maltraité et menacé, il a décidé de se débarrasser de la perle et il l’a jetée dans la mer. Il a préféré vivre comme ses ancêtres, comme son père, pauvre et modestement, mais heureux !

— Ton roman est très triste, sourit Béatrice. Je n’ai pas compris la morale de cette histoire.

 

Alan Alfredo Geday

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