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L’après-Kennedy, 1963


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Dans son ranch, Lyndon B. Johnson, le trente-sixième président des États-Unis, regarde par la fenêtre du dernier étage. Le mois de décembre, cette année, n’est pas froid, il est plutôt tiède. Ce soir, assis dans son fauteuil, le président peut observer la pleine lune qui brille comme un soleil à l’horizon. Lyndon B Johnson tend son pouce devant lui et s’amuse à cacher la lune tout entière. Les Américains vont y arriver, il en est certain. Un homme de ce pays marchera un jour sur le sol lunaire. Un jour, il pourra admirer un drapeau américain flotter sur l’astre. Qui sera cet astronaute qui fera la fierté de son pays ? Probablement l’un des astronautes qui travaille sur le programme spatial Mercury à Houston. Le président retire son pouce et tente de se concentrer. Mais l’oubli est difficile. Déjà un mois que le président Kennedy a été assassiné. Lyndon B Johnson est hanté par ce moment terrible, en une fraction de seconde, le sourire de Kennedy s’est noyé dans le sang. Sa tête a explosé dans la voiture. Lui, il a tout vu. Il a vu l’impensable, la cruauté nue. Il se souvient de la première dame, dans sa jolie robe rose maculée de sang, qui cherchait à s’échapper de la berline décapotable. Il lisait l’effroi sur son visage. L’effroi et l’incompréhension.

 

Lyndon B Johnson s’autorise deux semaines de repos dans son ranch. Il faut vite oublier, mais il faut se souvenir. Un président doit tirer des leçons du passé, mais ne pas se laisser submerger par ses émotions. Il doit garder la tête froide. Il a beaucoup de tracas, des affaires internationales qu’il doit régler. Les droits civiques des Noirs américains sont loin d’être une affaire résolue. C’est la course momentanée, c’est Martin Luther King qui hurle dans son micro devant des milliers de citoyens : « J’ai un rêve » Et ce rêve ne pourra se réaliser sans l’aide d’un président. Les Afro-Américains veulent avoir tous les droits des citoyens de ce pays, selon les amendements de la Constitution. Lyndon B Johnson entend un coup de feu. Il entend une femme crier : « John ! John ! »  Il voit une voiture foncer vers l’hôpital et l’espoir de millions de noirs américains s’effondrer du jour au lendemain. Car un homme a appuyé sur la gâchette. Car un homme a assassiné le président des États-Unis.

 

C’est lui le président maintenant. La tempête se calme, il recouvre ses esprits. Des sabots galopent et le cercueil de Kennedy sort de l’église. C’est du passé. Il doit régler cette affaire au Vietnam. Il doit renvoyer des troupes en renfort pour évincer les communistes dans cette guerre qui ne semble prendre fin. Lyndon B Johnson pointe de nouveau son pouce vers la lune miroitante. L’Amérique ne peut pas perdre cette guerre. Toutes sortes d’opérations vont être menées contre les guérillas dans le Sud et des frappes aériennes vont être conduites dans le Nord. Lyndon B Johnson a une stratégie. Des produits chimiques. Asperger toutes les terres agricoles du nord communiste de napalm, cet agent toxique qui tue, cet agent toxique qui étouffe. Il faut en finir, sinon la péninsule vietnamienne sera coupée en deux, le nord communiste et le sud démocratique. Le trente-sixième président des États-Unis peine à se concentrer. Il voit un crâne voler en éclats, une femme pleurer sur un cadavre, du sang ruisseler entre ses doigts.

 

Alan Alfredo Geday

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