C’est la manœuvre la plus délicate de cette usine de réarmement. Rosie la riveteuse en est capable. Elle soulève l’obus avec délicatesse. Que c’est lourd ! Que c’est effrayant ! Il faut du sang froid, et elle peut le faire ! Sa mission est de porter une centaine d’obus pesant une masse infernale de l’établi jusqu’à la machine à percer les trous. Rosie garde son courage ! Elle peut le faire ! Depuis que son amoureux a été enrôlé dans le conflit armé en Europe, Jane la riveteuse a pris son courage à deux mains et s’est proposé à l’office de guerre pour participer à l’effort de guerre. La voilà qui travaille dix heures par jour dans cette usine. Elle est consciente du danger. Sa mission de porter une centaine d’obus par jour de l’établi à la machine à perforer peut s’avérer désastreuse. Et elle est payée une misère. Quelques dollars pour toutes ces journées ! Il s’agit d’aider les Alliés à mettre fin aux conflits qui déchire l’Europe. Jane la riveteuse serre les poings. Elle veut, elle sait qu’elle peut, qu’elle peut gagner !
Elles sont plus de six millions de femmes à avoir rejoint cette campagne d’aide aux Forces Alliées. Ce sont des femmes venus des quatre coins du continent Nord-Américains pour aider les hommes à mourir pour la patrie. En effet, ces hommes ont été réquisitionnés et enrôlés dans les forces armées pour aller se battre contre l’ennemi de la liberté. Toutes les femmes qui travaillaient dans les usines de textile ont été mobilisées dans les usines de réarmement et l’industrie des munitions. La tâche est délicate pour certaines d’entre elles, comme Jane qui doit aider aux perforages des obus. Si cette bombe explosait entre ses mains, elle serait partie trop tôt, beaucoup trop tôt. Mais ce ne serait qu’une goutte d’eau dans un océan de poudre explosive. Car les usines de réarmement et de munitions sont présentes sur tout le territoire. Il faut une force de frappe pour libérer l’Europe du Troisième Reich.
Jane la riveteuse soulève un obus avec précaution. Elle le dépose délicatement sur la machine à perforer. Elle attend quelques instants. Voilà les trous effectués sur l’obus. Elle doit maintenant le déposer dans une caisse en bois, la pointe de vers le haut. Le tout sera acheminé en bateau vers le Royaume-Uni pour enfin exploser quelque part en Allemagne. La guerre est atroce ! Elle est horrible et des millions d’hommes innocents meurent au quotidien. Jane se concentre. Elle n’a pas le temps de penser à son amoureux. Dans la dernière lettre qu’elle a reçue, il racontait le débarquement sur les plages normandes en France. Jane la riveteuse se souvient de la lettre qu’elle connait presque par cœur : « Chaque flaque de sang que je voyais sur le rivage normand me faisait penser à toi ! Il y avait tellement de morts, on aurait dit un cimetière animé par la foudre. Les balises allemandes nous mitraillaient comme des fourmis. On avait été pris au piège dans l’enfer du débarquement. Les soldats tombaient en un hurlement, en suppliant Dieu, en appelant leur femme ou leur mère. Il y avait tant de jeunes qui ne connaissaient rien à l’enfer qui les attendait. Il fallait esquiver les balles qui nous foudroyaient en tous sens, et les barrages mis en place sur le rivage par les Nazis. Que la guerre est horrible ! Je t’aime tellement… »
Jane enlève son bandana. Elle est fière d’être une Rosie. Les Alliés vont gagner la guerre. Si ce n’étaient toutes ces femmes, plus de six millions, qui avaient aidé les soldats à débarquer en France. Si ce n’étaient toutes ces Rosies qui s’étaient engagées dans le conflit armé, peut-être que les Américains n’auraient jamais pu combattre. Jane respire un bon coup. Elle serre les poings.
Après tout, n’est-elle pas une Rosie ?
Alan Alfredo Geday
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