Evelyn s’est levée ce matin avec un objectif en tête. Manifester pacifiquement pour une paye égale pour les femmes et les hommes. C’est une grande admiratrice d’Emmeline Pankhurst. Cette activiste est connue pour avoir organisé le mouvement des suffragettes au Royaume-Uni, et aidé les femmes à obtenir le droit de vote. Elle a secoué la société irrémédiablement. Parfois, ses rassemblements éclataient en heurts avec les policiers. Il n’était pas facile de se faire entendre par ces brutes, mais le jeu en valait la chandelle, et il n’était pas question de rebrousser chemin. Aujourd’hui, pense Evelyn, en 1954, les femmes ont contribué à l’effort de guerre, et elles ont fait leur preuve. Elles ont montré qu’elles pouvaient être à la hauteur des tâches attribuées aux hommes. Comme les Rosies au Canada qui maniaient les bombes dans les usines, comme les secrétaires des postes téléphoniques, comme toutes ces infirmières qui soignaient les blessés sur le front, comme ces résistantes qui aidaient à repérer l’ennemi nazi ! « Enfin ! » soupire Evelyn. Il est enfin temps que la société change encore une fois.
Evelyn a retrouvé cinq amies et John Turbolt, un activiste socialiste, sur une avenue de Manchester. Ils lèvent haut leur pancarte et sont vite rejoints par d’autres sympathisants. Les femmes ne peuvent plus se contenter de si peu. La société doit voir plus loin, car la femme est l’avenir de l’homme ! John Turbolt est athée. Il ne croit pas une miette à l’Ancien Testament. Que Dieu prit une côte de l’homme pour faire la femme. Et que l’homme est fait de terre et qu’il retournera à la terre ! Tout ça, ce sont des sottises pour John Turbolt. « Les femmes ! Même salaire que les hommes ! » hurle-t-il à une voiture qui vient de passer. Et on klaxonne. On sympathise avec la pancarte d’Evelyn et son grand sourire narquois. Le rassemblement arpente tranquillement les rues de la ville. On les salue. On leur esquisse des sourires amicaux. Evelyn est fière de son action, elle, du haut de ses soixante ans, peut encore faire des remous.
Si Emmeline Pankhurst était encore vivante, elle aurait rassemblé toute la jeunesse de Manchester pour troubler l’ordre public, pour lancer des pierres et des pavés sur les forces de l’ordre, pour briser les vitrines des banques qui ne recrutent que des hommes, pour saccager les lignes de métro et provoquer les cheminots. Evelyn Pankhurst et ses suffragettes auraient semé la pagaille dans tout Manchester et le Royaume-Uni. Car ces capitalistes n’en font qu’à leur tête. Ils embauchent des hommes, ils payent moins les femmes. Et tout cet argent ! Pourquoi pas en donner un peu plus aux femmes ? « Emmeline Pankhurst, si seulement elle était là, elle aurait mis le feu aux poudres ! » pense Evelyn. « Enfin ! » dit-elle.
Enfin, voilà plus de cinq heures que le groupe avance dans les rues de Manchester. Les habitants de cette ville sont d’accord avec cette revendication : « Paye égale pour tout le monde ! » L’après-midi touche à sa fin. Evelyn propose à ses amis de prendre une tasse de thé accompagné d’une tranche de cake au citron dans son appartement.
Elle est fière, elle a milité pour une société égale.
Alan Alfredo Geday
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