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De Farrokh à Freddie, 1969


Getty Images

 

Farrokh Bulsara naît dans une famille parsie, une famille d’origine iranienne adepte du zoroastrisme. Autrefois persécutés pour leurs croyances, les Parsis ont immigré en Inde. Les Bulsara, venus de Bombay, se sont installés dans l’archipel de Zanzibar, à l’est de l’Afrique, pour travailler dans l’administration du protectorat britannique. Ainsi, le petit Farrokh grandit à Stonetown, dans une petite ville au bord de la mer, et ses deux parents reçoivent à la maison les prestigieux fonctionnaires de l’administration, autour d’un thé anglais. Farrokh ne manque de rien, c’est un privilégié de Zanzibar, et le petit garçon chétif et timide n’a qu’à tendre la main pour recevoir un verre de jus d’orange fraichement pressé. La seule souffrance de Farrokh, ce sont ses dents, de grandes dents qui lui mangent la moitié du visage. Il est laid, ce petit parsi malingre, mais il a une voix extraordinaire. Il est si complexé qu’il peine à quitter les jupons de sa mère. Mais un jour, elle lui annonce qu’elle a de beaux projets pour lui, et qu’il doit quitter Zanzibar pour étudier dans une fameuse école de Bombay. Là-bas, il pourra s’instruire comme il se doit, et faire la fierté des Bulsara. Farrokh a huit ans, et l’idée de partir à l’autre bout du monde est aussi effrayante qu’excitante.

 

Farrokh est ainsi envoyé dans l’internat Saint Peter Boys School, à quatre-cents kilomètres de Bombay. Il est bien décidé à honorer sa famille et à étudier sérieusement. Ses résultats sont excellents, et les lettres de sa mère le félicitent, chaque semaine, de tenir bon loin de Zanzibar. La mer turquoise lui manque, quelquefois, dans sa chambre de Saint Peter Boys School. Il creuse dans ses pensées, il réfléchit beaucoup, il médite comme tous les Zoroastriens. Après tout, n’est-ce pas la religion de sa douce mère ? Il s’imagine retrouver sa mère, peut-être même retourner à Zanzibar. Travaillera-t-il un jour pour l’administration britannique ? Il trouve dans les études du courage et du réconfort, dans ses amis, qui l’appellent « Freddie », du respect et de l’admiration. En effet, Freddie a une voix exceptionnelle. On le compare même à Lata Mangeshkar, cette chanteuse de playback pour les films de Bollywood et dont la voix peut couvrir trois octaves. Peut-être que les grandes dents de Freddie et ses quatre incisives supplémentaires sont à l’origine de son don ? Freddie commence à accepter cette disgrâce en se plongeant dans la musique. Le principal de l’école entend la rumeur d’un élève au talent extraordinaire et convoque Freddie dans son bureau pour en avoir le cœur net. Le garçon le bouleverse, et il décide d’écrire immédiatement à ses parents. Il faut absolument l’inscrire à des cours de musique dignes de ce nom.

 

La révolution éclate à Zanzibar. Mille hommes, des insurgés africains, armés de mitraillettes et de fusils automatiques, descendent dans les rues de Stone Town. Des fonctionnaires britanniques et des chercheurs américains sont faits prisonniers. Les insurgés réclament l’indépendance. Un bouillard d’insécurité et de terreur règne à Zanzibar. L’aéroport est pris d’assaut par les hommes armés. Beaucoup de colons n’ont pas le choix et fuient par la mer vers le continent africain. L’eau de Zanzibar n’est plus si turquoise que ça ! Membres de l’administration britannique, les parents de Freddie sont en danger. Ils décident donc d’émigrer à Londres, la métropole de l’empire. Ils appellent leur fils à les rejoindre, et Freddie retrouve enfin sa famille, dans un nouveau pays, dans une nouvelle culture. Freddie ne peut reculer devant le parcours qu’il a déjà effectué. Il s’inscrit alors pour des études artistiques à l’école polytechnique d’Isleworth. Londres n’est pas Bombay. C’est la ville où fut inventé le rock. C’est la ville où est né le rock. C’est le fief des Beatles et de Jimi Hendrix. Freddie tombe amoureux du rock, du rythme anglais, de ces groupes de rebelles qui donnent des concerts dans des pubs, dans des jardins publics et dans des salles remplies d’adolescents. À l’école d’Isleworth, nombreux sont les musiciens en herbe qui rêvent de monter un groupe de rock et de connaître le succès. Freddie fait la connaissance de Brian May, un guitariste, et de Roger Taylor, un bassiste. Ils ont formé un groupe, Smile, qui ne perce pas, malgré son talent. Freddie décide de prendre les devants quand le chanteur de Smile abandonne le groupe. Il sera le chanteur de ce groupe qu’il faut absolument rebaptiser pour lui donner sa chance. Queen : c’est un nom court et facile à retenir, pompeux et provocateur, c’est la reine et le gay, la tradition et l’irrévérence !

 

Alan Alfredo Geday

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