Ben Carré, 1942
- alanageday
- 3 juin
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Ben Carré arrive dans son studio des hauteurs de Hollywood. Il veut achever ce travail colossal qui trouble son sommeil. Il rêve de terminer ce contrat qu’il a signé avec les studios de la MGM. Son métier est rare, et les dernières technologies ne permettent pas de réaliser ce que cet homme sait faire. Du génie sur la feuille blanche ! La rentabilité de l’espace pour les longs métrages ! Il dépose sa sacoche et s’empare de sa grande règle et de son crayon. Quelques jours plus tôt, un journaliste français est venu l’interviewer.
Benjamin Carré, connu par les Américains et le tout Hollywood sous le petit nom de Ben, est un dramaturge. Un dramaturge ! Mais qu’est-ce que cela a à voir avec le dessin architectural et les grandes lignes tracés sur un immense tableau. Rares sont les personnes et les milieux en dehors du grand cinéma Hollywoodien qui connaissent le métier de scénographe. Car Ben Carré avant d’être un dramaturge est un scénographe d’immense renommée aux États-Unis. La dramaturgie se définit, dans la mise en scène d’un texte de théâtre, comme une interprétation de ce texte, tant au niveau local, de la séquence, la scène, la réplique qu’au niveau de son entièreté. Dans le spectacle réalisé, acteurs, lumière, sons et, bien sûr, scénographie participent à l’élaboration d’un sens global qu’ils contribuent à produire, chacun à son niveau, et qui, en même temps, dépasse leurs actions propres. La scénographie joue un rôle particulier car elle est à la fois vectrice de sens, lieu d’expression de la dramaturgie et cadre d’ensemble accueillant tous les autres signes de la représentation. C’est clair ? Pas vraiment !
Ben Carré se concentre. Il visualise ses lignes et sa mise en scène. Cela fait plus de quinze ans qu’il est arrivé aux États-Unis et qu’il travaille pour les studios MGM. Ben Carré essaye de s’imaginer le prochain long-métrage sur lequel il dessine la scénographie. Il irrigue la mise en scène sur la feuille blanche. En effet, le metteur en scène sait qu’il va pouvoir s’appuyer sur un univers que Ben Carré véhicule avec lui, univers qui peut se décrire de façon esthétique ou sous la forme de préoccupations, d’obsessions, récurrentes de spectacle en spectacle jusqu’à former une signature. Les éléments qui constituent une identité artistique sont définis très précisément par le scénographe. Et Ben Carré en est un. Un scénographe ! Il y a tout d’abord la recherche d’un principe. « Celui-ci pourrait être défini très rapidement par un croquis qui synthétiserait ce que va être l’espace, c’est-à-dire ses points forts, ses axes, ses dimensions. Ce principe se déploie dans le temps. Cela correspond mutatis mutandis à la définition d’une problématique qui sera, quant à elle, l’axe dramaturgique de la mise en scène », racontait le scénographe au journaliste. Ben Carré analyse son dessin. Il faut que la tension entre géométrie et l’organisation soit parfaite. « Il y a toujours un moment de géométrie où j’architecture… », lui expliquait Ben Carré. Puis la dernière chose, il y a le rapport au réel, toujours envisagé avec méfiance. Certes, les objets placés sur le plateau peuvent être issus du monde mais ils côtoient alors d’autres objets conçus, modifiés, ou déréalisés pour la scène.
Ben Carré a un goût pour les membranes, rideaux ou parois, « qui créent des hors-champs, des strates entre ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas, des frontières, avec des épaisseurs différentes, des matériaux entre l’opaque et le transparent. Un espace devient un objet de fantasme quand on sait qu’un corps est là, qu’on le devine, qu’on l’aperçoit, plus qu’on ne le voit ». Tels étaient ces mots au journaliste français fier de son compatriote. Ben Carré trace une dernière ligne. Son paysage et sa mise en scène de New York pour le prochain long métrage de la MGM se termine très bientôt. Ses croquis prennent vie et se réalisent.
En voilà un passionné, un obsédé du jeu et de la situation ! Il s’appelle Ben Carré !
Alan Alfredo Geday