L’agent spécial Buster, de son vrai nom Lionel Crabb, est un espion britannique. Mais pas n’importe lequel ! Son parcours atypique l’a mené dans des missions périlleuses où il a maintes fois risqué sa vie dans l’ombre. Buster a le goût de l’aventure, et il est fier de travailler pour les services secrets du MI6. Indirectement, Buster est au service de l’honorable Sa Majesté le roi d’Angleterre, ce qui lui apparaît comme la meilleure raison du monde de mener une double vie. Une vie, c’est déjà pas mal, mais une double vie, n’est-ce pas mieux ? Sans cela, son existence n’aurait rien de bien excitant pour lui. Il est vrai qu’il a toujours eu soif d’océan, mais il lui fallait un but plus précis et plus louable que l’appel des profondeurs.
Buster a connu une enfance difficile, sans grand intérêt par ailleurs, qui l’ennuya tant qu’il ne fit rien que de rêver des grands fonds. Ainsi, il enchaîna vite les petits boulots au service de la marine marchande. Et enfin, l’occasion se présenta de se démarquer, et cette occasion ne fut rien de moins que la Seconde Guerre mondiale. Il put alors s’engager en tant qu’artilleur dans l’armée, au nom de Sa Majesté le roi d’Angleterre. Il apprit aisément à manier les armes, mais Buster savait que sa vie n’était pas sur la terre ferme, mais bien sous l’eau. Mais il ne put rejoindre le tréfonds des océans aussi rapidement. Buster s’engagea dans la prestigieuse Royal Navy. Son navire l’éloignait bien heureusement des tracas familiaux et conjugaux, direction Gibraltar. Sa double vie commençait, se dessinait. Buster pouvait s’évader, rêver peut-être d’un amour à Gibraltar. Il imaginait embrasser sa belle amante au son des mouettes du petit matin, se lever avec l’odeur sucrée d’un parfum féminin, mais surtout, d’un parfum d’ailleurs, et enfin quitter son aventure avec une larme de regret, mais un cœur palpitant d’excitation. Il avait pour mission de faire exploser toutes les mines posées pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis à Gibraltar. Buster n’était pas encore plongeur, il n’avait pas la chance de ramasser les mines sous-marines accrochées aux coques des navires alliés. Mais bientôt, il saurait faire sa place au sein des plongeurs. Plein d’ambition, Buster admirait l’horizon infini à bord du navire. Sans avoir encore posé un pied à Gibraltar, il espérait partir à la conquête d’autres terres, d’autres femmes, d’autres jours jamais pareils, et cela pour le restant de sa vie.
Buster avait le goût du risque, et ses efforts passionnés furent vite récompensés par la médaille de George, la médaille des héros militaires. Buster fut alors promu au rang de lieutenant-commandant. Il décida d’en tirer avantage et d’apprendre à plonger. Son rêve allait bientôt commencer. Il devint rapidement un excellent plongeur. Il était comme un poisson dans l’eau, et même, comme un véritable requin. Il fut alors chargé de mener une équipe de plongeurs pour le déminage des ports de Livourne et de Venise. L’Italie n’était pas très dépaysante, mais c’était un bon commencement. Et l’Italie l’enchanta. Le café amer, les marchés animés, les innombrables ponts vénitiens, le bruissement incessant de l’eau et la langue chantante des Italiens, c’était un contexte d’aventure des plus plaisants. Bien sûr, il aurait préféré plonger dans l’océan Pacifique ou l’océan Indien, nager au milieu d’animaux étranges et se sécher au soleil ardent d’une île au nom imprononçable, mais l’Italie avait ses charmes. Et la mission lui donna l’adrénaline qu’il attendait. Désamorcer une mine sous-marine nécessite une délicatesse et un sang-froid inimaginable. Sa vie ne tenait qu’à un fil, chaque fois, et il aimait ça. Il aimait vivre sur ce fil fragile qui pouvait se rompre sans prévenir. Les nuits torrides qui suivaient ses journées avaient la saveur du danger. L’orange qu’il croquait à pleines dents avait le goût de la première fois. Et le vin italien coulait à flots à la terrasse des restaurants de Venise.
De retour sur son île, la Grande-Bretagne, Buster eut l’amertume de ses aventures en Italie. Le nuage de lait que son épouse versait dans son thé de l’après-midi le rendait mélancolique. « Tea time », c’était le désespoir après le frisson des eaux profondes. Et puis la brume du matin dans les rues de Londres, la lueur blafarde des réverbères, les chapeaux noirs, les costumes noirs, les cravates noires, les mocassins noirs, et enfin les eaux ternes de la Tamise, le laissaient de plus en plus éteint et triste. Mais un beau jour, l’aventure, comme on dit, frappa de nouveau à sa porte. C’étaient les services secrets britanniques : « Buster, le MI6 a besoin de toi ! » Le cœur de Buster bondit d’un seul coup dans sa poitrine. Une mission secrète allait lui être confiée ! Fini le thé au lait, fini l’ennui, finie la vie simple et sans surprise ! Il ôta son peignoir et s’échappa sans hésiter de la maison, au grand désarroi de sa femme. Et en effet, il fut chargé d’une mission très délicate au service de Sa Majesté le roi d’Angleterre. Nikita Khrouchtchev et Nikolaï Boulganine étaient arrivés au Royaume-Uni à bord du Ordzhonikidze pour une mission diplomatique, et Buster devait plonger dans le port de Portsmouth pour enquêter sur le bateau soviétique.
Le jour venu, Buster plongea dans les eaux froides de Portsmouth. Ses palmes fendaient l’obscurité, l’oxygène remontait dans sa bouche comme autrefois, et Buster frissonnait de plaisir et d’excitation. Son corps se confondait avec les eaux du port du port, il était en osmose, concentré, vigilant, tendu et agile comme une anguille. Quand tout à coup, son contrôleur du MI6 ne l’entendit plus. « Buster, agent Buster ? » demanda-t-il à l’autre bout du talkie-walkie. « Buster, êtes-vous là ? » répéta le contrôleur du MI6. Mais Buster avait définitivement disparu. On ne retrouva jamais son corps. On ne retrouva jamais sa trace. Seules les eaux du port de Portsmouth connaissent le mystère de la disparition de l’agent spécial Buster.
Alan Alfredo Geday
Opmerkingen